Finance plus durable, l’autorégulation des entreprises par la Smart Law
RÈGLES DU JEU - finance, RSE, éthique

Finance plus durable, l’autorégulation des entreprises par la Smart Law

Recommandations

Le législateur s’intéresse de plus en plus fortement à la RSE par le biais de mesures contraignantes parfois impropres aux réalités économiques, sociales et sociétales. Il est encore temps pour les acteurs économiques de démontrer leur capacité à s’autoréguler en développant une Smart Law.

Nous recommandons aux acteurs économiques de :

  • Fixer les attendus RSE adaptés à leurs problématiques, notamment sectorielles.
  • Choisir les indicateurs extra-financiers les plus pertinents sur lesquels s’exprimer et être évalués.
  • Mettre en place de façon volontaire un reporting extra-financier engagé, normé et digitalisé, par exemple à l’aide de nouveaux outils.

La crise du Covid 19 nous invite à plus de mesure et de prudence

Le 15 mars 2020 a ouvert un nouveau cycle : celui de la possibilité d’un confinement planétaire. Une fois le premier choc passé, les réflexions sur la transformation de notre mode de vie se sont imposées comme nécessaires. Le domaine de la finance n’échappe pas à ce mouvement de fond et aujourd’hui, un consensus implicite se fait jour : la finance conventionnelle doit être complétée par une finance durable. « Par finance durable, on entend communément le fait d’investir dans des produits socialement responsables ». Initialement plutôt tournés vers des aspects environnementaux, comme les fonds verts par exemple, ces investissements socialement responsables (ISR) sont aujourd’hui définis comme des investissements réalisés par des investisseurs institutionnels ou individuels intégrant des aspects sociaux, environnementaux et éthiques dans les décisions d’investissements.

Le message était déjà clair depuis les dernières crises

Dès le 24 novembre 2008, Gérard Mestrallet, président de Paris Europlace, déclarait lors d’un Forum : “nous sommes tous convaincus que notre système financier doit être révisé. Ceci est une question fondamentale pour l’avenir de l’économie française et européenne. Une action collective autour de Paris Europlace pour la finance durable est une nécessité ». Dans la même lignée, le président Obama lors de son investiture en janvier 2009 avait affirmé “Nous sommes arrivés à un point d’irresponsabilité profonde… Depuis des décennies, un trop grand nombre de gens de Wall Street ont spéculé sans prudence fixant les bénéfices financiers avec un optimisme aveugle et avec peu d’égard pour les risques graves et avec encore moins de respect pour le bien public… Ces personnes ont oublié que les marchés fonctionnent mieux quand il y a de la transparence et de la conformité…».

La nécessité d’un profond et rapide changement de paradigme du système financier fait aujourd’hui consensus.  

La finance durable renaît pour servir le besoin d’avenir responsable

La finance durable n’est pas un concept nouveau. Il trouve ses racines dans les communautés religieuses juive, chrétienne et musulmane, qui prohibaient certaines activités telles que l’investissement dans la pornographie, l’alcool ou encore le jeu. L’investissement éthique a commencé à émerger avec l’utilisation de l’argent à des fins morales. Ainsi, dès le 17ème siècle en Amérique du nord, le mouvement religieux des Quakers a participé financièrement et activement à la lutte contre la violence, l’esclavage et les actes de piraterie. Poursuivant dans cette lignée, les méthodistes aux 18ème et 19ème siècle ont mis l’accent sur le soutien aux personnes indigentes par le biais du développement des services sociaux. Ils ont interdit l’investissement dans le commerce de l’alcool, du tabac, des armes et des jeux de hasard. Dans la seconde moitié du 19ème siècle, le mutualisme est né autour d’un ensemble de valeurs plaçant l’individu et le développement social au cœur de chaque activité.

Au 20ème siècle et plus précisément dans les années 1960, l’approche religieuse se laïcise et la notion d’investissement socialement responsable (ISR) apparaît. Dans ce contexte, les notions de développement durable, de responsabilité sociale et sociétale sont devenues un enjeu central du développement entrepreneurial. Cela n’a pas échappé au législateur français, qui prend de plus en plus de place dans l’encadrement des pratiques de gouvernance et d’investissement responsable.

La prise de position du législateur français

Depuis une quarantaine d’années, les acteurs économiques se sont vu imposer de façon exponentielle la production et la diffusion d’informations extra-financières. Des critères sociaux et environnementaux de plus en plus nombreux doivent être impérativement respectés par les dirigeants de sociétés. Ils s’imposent désormais dans tous les domaines. Les notions d’investissement socialement responsable (ISR) et de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) sont aujourd’hui indissociables et intrinsèquement liés au développement et à la croissance des entreprises.

Depuis le début des années 80, notamment, suite aux catastrophes nucléaires de Tchernobyl et pétrolière de l’Exxon Valdez, le législateur a fait de la notion de développement durable un enjeu central du développement entrepreneurial.
La première loi adoptée en la matière fut celle de 1977 (loi n°77-769 du 12 juillet 1977 relative au bilan social de l’entreprise) applicable aux sociétés et établissements de plus de 300 salariés qui doivent produire un bilan social.

L’étape suivante s’est jouée en 2001 avec le vote de la Loi sur les nouvelles régulations économiques, dite loi NRE (Loi n° 2001-420) qui a rendu obligatoire la production d’informations sociales et environnementales par les sociétés cotées.  A l’issue du Grenelle de l’environnement (Loi Grenelle 1 n° 2009-967 du 3 août 2009 et Loi Grenelle 2 n° 2010-788 du 12 juillet 2010) cette obligation a été étendue en 2010 à certaines sociétés non cotées en fonction de leur taille. La liste des indicateurs a été considérablement renforcée notamment en ce qui concerne les informations sociétales.

Pour compléter ce dispositif déjà très lourd, l’ordonnance n° 2017-1180 du 19 juillet 2017 et son décret d’application n° 2017-1265 du 9 août 2017 transposant la directive n° 2014/95/EU du 22 octobre 2014 sont venus imposer une obligation de déclaration de performance extra-financière pour les sociétés cotées et les sociétés non cotées dépassant les seuils fixés dans le décret du 9 août 2017 (C.com, art. R. 225-104, 2°). Cette ordonnance modifie le visage du droit français en la matière, en ce qu’il pose une obligation de transparence extra-financière qui n’existait pas jusqu’alors. Toutefois il ne s’agit, à ce jour, que d’une injonction de communication, qui, en cas d’omission, n’entrainera pas de mise en cause de la responsabilité collective des membres des organes d’administration ou de surveillance. Par ailleurs comme le souligne très justement Cusacq : « L’injonction de communication ne résout pas les questions liées à une déclaration incomplète ou trompeuse ».

Enfin la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises, dite loi Pacte est venue enrichir l’article 1833 du Code civil d’un second alinéa qui précise que « la société est gérée dans son intérêt social et en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité » introduisant ainsi des problématiques qui relèvent de la responsabilité sociale des entreprises. Cet ajout est original autant que fondamental car, comme le dit très justement Desbarats : « il scelle la reconnaissance juridique d’un intérêt social propre à la structure, distinct de celui des associés, des salariés ou encore de l’entreprise, mais également d’une vision modernisée d’un tel intérêt puisqu’élargi à d’autres préoccupations que strictement financières et non plus seulement réductible au profit ».

Le danger d’un interventionnisme croissant du législateur en matière de RSE : Hard Law et Soft Law

Réforme après réforme, l’objet de l’obligation de transparence extra-financière n’a cessé de s’étendre sous une forme contraignante, celle de la Hard Law. Certains auteurs parlent à juste titre « d’infobésité ». En effet, entre le bilan social de l’entreprise, qui comprend parfois plus de 200 indicateurs dont chacun peut contenir jusqu’à une dizaine de données chiffrées, la partie du rapport de gestion consacrée au reporting extra financier souvent très touffue (informations de nature environnementales, sociétales et sociales) et  le rapport RSE pouvant compter plus de 100 pages, les informations manquent parfois de clarté, se répètent ou se contredisent et ne permettent pas au lecteur d’avoir une vue synthétique et lisible de la situation réelle. Les véritables enjeux risquent alors d’être noyés sous la masse d’informations. A l’opposé on trouve un autre vecteur, la Soft Law, issu d’une volonté d’autorégulation proposé notamment par les syndicats d’entreprise tel le MEDEF.

« Expression de la raison, la loi est comme elle de portée générale, impersonnelle et permanente » écrivait Portalis. Elle semble à tout le moins une voie peu adaptée pour accompagner l’entreprise dans sa démarche RSE, cette dernière étant, a priori, l’intégration volontaire par la personne morale des préoccupations sociales et environnementales liées à son secteur d’activité. Chaque société est particulière, a des caractéristiques qui lui sont propres et imposer une règle unique et générale quelle que soit la taille, la branche ou les spécificités de l’entité risque d’être contreproductif tant sur le plan économique que sur le plan social et sociétal. La nuance est en la matière indispensable et la loi par nature contraignante ne paraît pas être l’instrument propice au déploiement harmonieux des normes RSE.

Le droit souple (Soft Law) peut, en revanche être une voie à explorer en ce qu’il est plus à même de répondre aux attentes des parties prenantes en la matière.

Ce droit repose non sur la contrainte d’une règle édictée par l’extérieur (le législateur) mais sur l’adhésion et la responsabilisation des différentes personnes concernées, grâce notamment à la co-construction des objectifs à atteindre par les acteurs et à l’adhésion des protagonistes. L’effectivité de ces règles sera quantifiable à l’aune de la proportion des acteurs qui s’y rallieront de façon spontanée.

Vers une intégration positive des règles RSE par la mise en place d’une Smart Law

La pesanteur de la Hard Law s’avère donc bien souvent contreproductive, et amène à réfléchir au développement d’une autre façon de penser l’intégration de la RSE en entreprise qui privilégierait l’autorégulation notamment par la mise en place d’un reporting extra financier, engagé, normé et adapté aux problématiques particulières de chaque société concernée, ces dernières choisissant librement les indicateurs sur lesquels elles devront s’expliquer. C’est ce que l’on pourrait appeler la Smart Law. Cette approche consisterait à mettre en place des objectifs fermes sur lesquels les entreprises s’engageraient via des reportings tant financiers qu’extra-financiers, numérisés et traçables.

À ce jour, même si les lois se précisent et se multiplient, elles restent relativement mesurées et peu contraignantes en termes de sanction notamment. Mais il est à craindre que le législateur n’hésite pas à renforcer son interventionnisme si les dirigeants ne respectent pas la prise en compte de ces critères, indispensables à la mise en place d’une gouvernance responsable. Si l’étau législatif semble s’être resserré en matière de RSE ces dernières années, il est encore temps pour les acteurs économiques de démontrer leur sens de l’engagement et leur capacité à s’autoréguler.