La démocratie passe aussi par l’entreprise
RÈGLES DU JEU - finance, RSE, éthique

La démocratie passe aussi par l’entreprise

Le cas (imparfait) des banques

Recommandations

CONSTATS :

  • Les banques européennes étudiées accordent des niveaux de priorité très déséquilibrés à leurs différentes parties prenantes.
  • La priorité la plus élevée est accordée à la société civile et dans une moindre mesure aux actionnaires, démontrant l’effort de ces banques pour concilier objectifs sociaux et économiques.
  • Les clients et employés sont les moins pris en compte dans les processus décisionnaires.
  • Quant aux régulateurs, à la suite de la crise de 2008, ils sont globalement mieux écoutés, les banques ayant pris conscience de leur rôle clé.

RECOMMANDATIONS POUR LES BANQUES :

  • Réévaluer leurs processus décisionnaires stratégiques, pour mieux répondre aux impératifs démocratiques représentatifs des institutions dont leur prospérité dépend.
  • Pour ce faire, se doter de nouveaux outils de mesure de la performance extra-financière afin de rééquilibrer et d’améliorer l’utilité des différentes parties prenantes.
  • Construire dès à présent une démocratie d’entreprise de l’intérieur, contribuant à créer une Soft Law en complément de la Hard Law existante.

Dans un pays démocratique…

Comme l’écrivait Adam Smith, il y a plus de 250 ans, « un manque de bienfaisance mettra une société mal à l’aise, mais la prévalence de l’injustice la détruira complètement ».

Dans un pays démocratique, les citoyens peuvent exprimer leurs opinions librement et les élus sont responsables envers les électeurs. En toute logique nos entreprises devraient être à l’image de ce que les sociétés démocratiques prétendent être et faire, notamment pratiquer une gouvernance empreinte de responsabilité envers leurs parties prenantes. Or notre étude démontre que le degré d’importance (ou d’utilité) dans la décision est déséquilibrée entre parties prenantes.

La responsabilité sociale entraine-t-elle la démocratie en entreprise ?

Le concept de responsabilité sociale des entreprises (RSE) soutient que les entreprises devraient être bénéfiques pour leurs communautés et fonctionner de manière durable sur les plans économique, social et environnemental. Cela comprend généralement des initiatives axées sur l’environnement, l’éducation, la santé publique, les droits civils et humains, ou le développement économique. Des éthiciens des affaires ainsi que des universitaires en gestion continuent à examiner les mérites d’une démocratisation de la gouvernance d’entreprise (Stansbury, 2009 ; Goodman et Arenas, 2015; Scherer, 2015; Schneider et Scherer, 2015). Les entreprises et la société civile joueraient un rôle actif dans un système démocratique. La responsabilité sociale des entreprises devrait protéger la démocratie et favoriser l’ouverture des sociétés.

Mais qu’en est-il aujourd’hui ?

Si la démocratie semble essoufflée aujourd’hui n’est-ce pas aussi parce qu’elle a du mal à s’implanter dans nos organisations et plus particulièrement dans nos entreprises ?

Nous essayons dans cette note de décliner la démocratie au niveau des entreprises bancaires. Les banques sont-elles organisées de manière démocratique ?

Quand l’essoufflement démocratique se constate aussi en entreprises : l’exemple des banques européennes, un modèle instructif

Nous avons appliqué notre modèle à 12 grandes banques européennes. L’étude porte sur la période 2006 à 2016.

Résultats

Performance par partie prenante

Pas d’équilibre entre les parties prenantes

Comme indiqué dans la figure précédente, aucune des banques étudiées n’a assuré l’équilibre entre toutes les parties prenantes. Nos résultats montrent que la plupart des banques accordent une priorité élevée à la société civile (avec une performance moyenne de 50%) et une priorité moindre aux actionnaires (avec une performance moyenne de 37%). Cela peut s’expliquer par les efforts des banques européennes pour concilier les objectifs sociaux et économiques. Cependant, cet effort reste insuffisant.

En revanche, en moyenne, le niveau d’utilité des clients et des employés est le plus bas parmi ceux des autres parties prenantes. Selon Chakrabarty (2004), les frais bancaires et les taux d’intérêt déterminent la satisfaction globale des clients. La baisse de la satisfaction des clients coïncide en effet avec l’augmentation des commissions et des intérêts sur les prêts. Cela peut expliquer le faible score des clients. Plusieurs banques européennes tentent de réduire les coûts en réduisant le personnel, les contrats CDI et les salaires, ce qui pourrait expliquer le faible score des employés. De l’autre côté, la performance post-crise des régulateurs a légèrement augmenté, probablement en raison d’une prise de conscience accrue du rôle des régulateurs. Il est clair que la performance des managers varient considérablement d’une année à l’autre pour la majorité des banques examinées. Ceci est probablement dû aux énormes variations de la rémunération, notamment en matière de primes versées aux managers. La récompense des managers s’exprime généralement en termes de réalisation d’objectifs de performance préétablis.

Une démocratie d’entreprise à construire

Les résultats montrent un déséquilibre entre l’utilité des différentes parties prenantes. Des progrès restent donc à réaliser afin d’améliorer la satisfaction des parties prenantes et par conséquence le jeu démocratique par une meilleure reconnaissance de l’utilité de chacun au sein des structures productives. L’approfondissement de l’approche RSE semble une voie prometteuse. Les banques dont la prospérité dépend d’institutions démocratiques devraient réévaluer leurs décisions stratégiques afin de déterminer si, de quelque manière que ce soit, elles sont en train de saper ces institutions.

Il ne s’agit pas seulement de conformité réglementaire (Hard Law), comme le respect des sanctions ou des lois sur le blanchiment d’argent, il s’agit de penser à l’avenir avec une perspective socialement responsable et un souci profond de la démocratie et de la justice. La véritable RSE est par définition volontaire. La Soft Law est un outil fécond pour assurer son respect. Un choix qui vient de l’intérieur de l’entreprise, lié à ses convictions et à ses engagements, et généralement plus efficace qu’une obligation rigide imposée de l’extérieur.