Cette conférence s’inscrit dans le cadre de notre cycle de rencontres « Au cœur des influences ».
« État profond » ou fantasme ? Qualifiée de « phénomène tentaculaire » par la commission d’enquête du Sénat dans son rapport de mars 2022, l’influence des cabinets de conseil privés sur l’élaboration des politiques publiques avait donné lieu le 18 octobre 2022 à l’adoption par la chambre haute d’un projet de loi visant à mieux encadrer le recours de l’État à ce type de structures. Quinze mois se sont ensuite écoulés avant que le texte soit présenté à l’Assemblée nationale, pour finalement y être largement remanié voire – dans les termes des personnalités ayant porté le projet – « dénaturé ». Le 1er février 2024, le projet de loi a donc été renvoyé dans sa version modifiée en deuxième lecture devant le Sénat, laissant craindre un enlisement des discussions et signalant un potentiel manque de volonté politique de se passer des consultants au sein du service public. En parallèle, le Gouvernement a annoncé la création, mardi 26 mars 2024, d’une agence de conseil interne à l’État, rattachée au délégué interministériel à la transformation publique (DITP). De quoi remédier aux maux identifiés par la commission d’enquête et prévenir les risques de dérives soulignés par journalistes et essayistes ?
Dans le cadre de notre cycle de rencontres « Au cœur des influences », nous avons souhaité procéder à un état des lieux et consacrer notre quatrième conférence à cette thématique. Cet événement, intitulé « Quelle influence des cabinets de conseil sur les politiques publiques ? », s’est tenu le jeudi 28 mars 2024 au Cercle de l’Union Interalliée.
Sont intervenus (par ordre de prise de parole) :
- M. Yves MORIEUX, conseiller principal du Boston Consulting Group (BCG), ancien directeur associé senior et directeur monde de l’Institut pour l’Organisation, auteur de Smart Simplicity
- Mme Caroline MICHEL-AGUIRRE, grand reporter au Nouvel Obs, co-autrice du livre Les Infiltrés. Comment les cabinets de conseil ont pris le contrôle de l’État
- Mme Éliane ASSASSI, sénatrice honoraire et rapporteure de la commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques
La modération était assurée par Mme Claude REVEL, directrice du développement de SKEMA Publika, ancienne déléguée interministérielle à l’intelligence économique.
Forts d’expériences et de points de vue complémentaires, nos intervenants ont su apporter un éclairage nuancé sur les différentes interrogations suscitées par le recours réitéré de l’État aux cabinets de conseil privés observé ces dernières années : cette pratique constitue-t-elle un usage opportun de l’argent public ? Est-elle réellement nécessaire ? Quelles conséquences pour la souveraineté et la légitimité de l’État ?
Pour comprendre pourquoi les ministères et opérateurs de l’État peuvent être tentés de faire appel aux cabinets de conseil en stratégie, nos intervenants ont tout d’abord souligné leur(s) valeur(s) ajoutée(s). Ayant pour mission d’identifier les anomalies (telles que la baisse dans le temps de l’augmentation annuelle de la productivité), les consultants visent notamment à dépasser et à remédier à la complication (multiplication des structures, des comités, des réunions, des processus, des reportings etc.) dans laquelle s’égarent souvent les organisations face à la complexité accrue de leur environnement (régulations, ruptures technologiques, société, concurrence etc.).
Néanmoins, à l’appui de cas particuliers – telle que la réforme de l’hôpital public –, nos intervenants ont également illustré les dérives potentielles occasionnées par un recours trop systématique de l’État aux cabinets de conseil. En effet, la proposition de valeur de ces derniers semble parfois se limiter à l’application au secteur public des méthodes du secteur privé, ignorant les spécificités du fonctionnement de chaque domaine et visant continuellement à améliorer le rendement par la baisse des coûts. Bien que séduisante, une telle approche – celle du new public management – a donné lieu à des situations aberrantes en étant adoptée de manière indiscriminée.
Sans doute encouragée par des cabinets prompts à créer leurs marchés, cette consulto-dépendance a toutefois été organisée, du moins en partie, par l’État lui-même, et en particulier par les hauts fonctionnaires. Les formations dont ils sont issus jouent ici un rôle non négligeable. En outre, un cabinet n’étant jamais comptable des erreurs d’exécution, la mobilisation de consultants offre aux décideurs la possibilité de diluer la responsabilité en évitant de devoir répondre entièrement des choix effectués. Une opportunité que d’autres fonctionnaires perçoivent comme une forme de concurrence déloyale…
Les échanges avec la salle ont enfin permis de souligner le poids de l’idéologie sous-jacente à la nouvelle gestion publique dans la persistance de ces pratiques. Par conséquent, cesser de gouverner avec les consultants n’est pas la promesse de (hauts) fonctionnaires cessant de gouverner comme des consultants. La question qui se pose n’est pas simplement celle des moyens. C’est une question de société : croit-on encore en la possibilité d’un grand service public, et de qualité, en France ?
Une synthèse détaillée est disponible en téléchargement.