Cet article est le 1er d’une série de 4, présentant les résultats d’une consultation des ONG dans le cadre d’un rapport global sur le devoir de vigilance des entreprises.
Lire la partie 2 : Devoir de vigilance : quel périmètre d’application ?
La phase suivante du projet portera sur la vision des grandes entreprises quant à l’impact de la loi sur leur gouvernance.
Propos introductifs à l’enquête
À l’heure où la Commission européenne s’empare de la question du devoir de vigilance et compte tenu de l’importance cruciale de l’impact d’une telle réforme pour les entreprises européennes, mais aussi pour la poursuite d’un certain nombre d’échanges commerciaux internationaux, il est apparu indispensable au think thank SKEMA PUBLIKA de mener une étude approfondie auprès des principales parties prenantes, à savoir les organisations non gouvernementales (ONG) et les sociétés concernées par la règlementation pour avoir leur retour sur l’application de la Loi française sur le devoir de vigilance de 2017 et son impact dans le domaine économique et commercial ainsi que leur regard sur ce nouveau projet de directive européenne.
Le 23 février dernier, la Commission européenne a présenté sa proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (ou CSDD, Corporate Sustainability Due Diligence) visant à obliger les entreprises à gérer les impacts sociaux et environnementaux tout au long de leur chaîne d’approvisionnement, y compris lorsqu’ils sont issus de leurs propres opérations commerciales.
Cette proposition a pour objectif de favoriser le comportement durable et responsable des entreprises tout au long des chaînes de valeur mondiales, ces dernières jouant un rôle essentiel dans la mise en place d’une économie et d’une société durables. La directive prévoit que les sociétés concernées seront tenues de recenser et, s’il y a lieu, de prévenir, de faire cesser ou d’atténuer les incidences négatives de leurs activités sur les droits de l’Homme et sur l’environnement.
Les entreprises et secteurs visés par la directive sont répartis en deux groupes :
- Toutes les entreprises de l’Union européenne à responsabilité limitée de grande taille et ayant un pouvoir économique important (employant plus de 500 personnes et réalisant un chiffre d’affaires net supérieur à 150 millions d’euros à l’échelle mondiale). (Groupe 1).
- D’autres sociétés à responsabilité limitée exerçant des activités dans des secteurs à fort impact définis, qui n’atteignent pas les deux seuils précédents, mais emploient plus de 250 personnes et réalisent un chiffre d’affaires net de 40 millions d’euros et plus à l’échelle mondiale. (Groupe 2).
- Les entreprises de pays tiers actives dans l’UE dont le seuil de chiffre d’affaires est aligné sur celui des sociétés précédemment visées (groupe 1 et 2) et dont le chiffre d’affaires est réalisé dans l’UE.
La directive précise enfin que les petites et moyennes entreprises (PME) ne relèvent pas directement du champ d’application de cette proposition. Cette rédaction pour le moins ambiguë pourrait induire qu’elles en relèvent indirectement.
Cette proposition s’applique aux opérations propres aux entreprises, à leurs filiales et à leurs chaînes de valeur (relations commerciales établies de manière directe et indirecte).
Afin de respecter le devoir de vigilance en matière de durabilité, les entreprises devront être en capacité d’intégrer le devoir de vigilance dans les politiques, de recenser les incidences négatives réelles ou potentielles sur les droits de l’Homme et l’environnement, de prévenir ou d’atténuer les incidences potentielles, de mettre un terme aux incidences réelles ou les réduire au minimum, d’établir et maintenir une procédure de réclamation, de contrôler l’efficacité de la politique et des mesures de vigilance et enfin de communiquer publiquement sur le devoir de vigilance.
La directive prévoit qu’un contrôle émanant des autorités administratives nationales devra être effectué et des amendes infligées en cas d’irrespect de ces nouvelles règles. Des sanctions juridiques sont prévues en plus des sanctions réputationnelles actuelles, les victimes ayant la possibilité d’intenter une action en justice pour les dommages occasionnés qui auraient pu être évités grâce à des mesures de vigilance appropriées.
En outre, les entreprises du groupe 1 devront mettre en place un plan permettant de garantir que leur stratégie commerciale est compatible avec la limitation du réchauffement planétaire à 1,5 °C conformément à l’accord de Paris.
Enfin est introduite l’obligation pour les administrateurs de mettre en place et de superviser l’intégration et le déploiement du devoir de vigilance dans la stratégie d’entreprise, et ce, en tenant compte des conséquences de leurs décisions sur les droits de l’Homme, le changement climatique et l’environnement.
Cette directive est, à bien des égards, beaucoup plus exigeante que ne l’étaient les règles nationales adressant cette question qui dans la plupart des cas se limitaient à agir sur des violations spécifiques des droits humains, comme aux Pays-Bas, où elle visait le travail des enfants, ou encore au Royaume-Uni, où elle visait l’esclavage moderne.
Seule la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 française relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre avait une approche globale dont les exigences étaient très étendues. Ces dernières ont été, pour la plupart, reprises par la directive.
Si les PME (qui représentent avec les TPE 98,8 % des entreprises françaises) ne relèvent pas directement du champ d’application de cette proposition européenne, elle risque de les impacter indirectement. C’est pourquoi la proposition comprend également des mesures d’accompagnement qui soutiendront toutes les entreprises, y compris les PME, susceptibles d’être indirectement touchées.
Face aux exigences légales croissantes imposées aux entreprises, il est apparu indispensable de se poser la question de la pertinence de ces règles en regard tant du fonctionnement interne des sociétés que de la compétition internationale. Sur cette question du devoir de vigilance, devenue centrale, une enquête devait être menée tant du côté des ONG que des sociétés visées directement et indirectement par les Lois de 2017 et de directive européenne de février 2022 afin qu’une démarche soit initiée auprès des parties prenantes permettant l’ouverture d’un dialogue constructif visant à aboutir à la mise en place de bonnes pratiques fixées communément.
La première phase de l’étude a été l’identification des principales ONG travaillant sur cette question du devoir de vigilance, qui ont été interviewées et ont répondu aux quatre questions suivantes :
- Selon vous la Loi de 2017 est-elle adaptée (champs d’application, suivi de l’application, sanctions) et suffisamment efficace ?
- L’application de la Loi doit-elle ne concerner (ce qui est aujourd’hui le cas) que les très grosses sociétés ? Ne serait-il pas souhaitable qu’elle implique toutes les sociétés, quelles que soient leurs tailles (ETI-PME-TPE) ?
- Quelles sont les attentes minimales des ONG vis-à-vis des entreprises pour que ces dernières soient considérées comme « en bonne voie » ?
- Quelles seraient les actions à mener pour que les sociétés et les ONG puissent travailler ensemble au « bien commun » ?
La Loi de 2017 est-elle adaptée et suffisamment efficace ?
À la première question sur le caractère adapté et efficace de la loi de 2017, un certain nombre de réflexions convergentes sont apparues de la part des ONG quant à la pertinence du texte de loi de 2017 et de son application.
L’ensemble des ONG saluent l’adoption de ce texte comme étant un outil fondamental et nécessaire pour la prise en compte du respect des libertés fondamentales, de la santé et la sécurité des personnes, les droits humains et l’environnement.
La loi de 2017 est le fruit d’une forte mobilisation, d’un long combat des ONG aidées de certains parlementaires ; William Bourdon, avocat et fondateur de Sherpa, très actif dans le cadre de la préparation des travaux préparatoires estime que la lutte contre l’impunité des grands acteurs économiques est l’un des grands défis du 21e siècle. La soft law ne suffit pas selon lui à la défense de l’intérêt général. Il faut combattre la logique purement financière et court-termiste qui guide les multinationales. De ce point de vue, l’adoption de la loi a été vécue par les ONG comme une première étape importante, mais qui, souligne-t-il, devra être consolidée et ajustée sur des points essentiels.
L’une des principales forces de la loi est le périmètre étendu des violations couvertes.
La définition posée est large. L’obligation de vigilance imposée aux entreprises dépassant les seuils précités doit permettre d’identifier les risques et de prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant de leurs propres activités, de celles de leurs filiales et sociétés contrôlées, ainsi que de celles des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie.
Comme le précise l’ONG Les Amis de la Terre, ces termes qui peuvent paraître flous à certains, permettent à la loi de couvrir : « toutes les situations possibles et les violations qui peuvent évoluer dans le temps ».
Néanmoins, un certain nombre de points restent insatisfaisants et sont dénoncés par les ONG qui s’intéressent à cette question.
Le périmètre de la Loi n’est pas forcément adapté
La première faiblesse de la Loi selon les ONG interrogées – Les Amis de la Terre, Collectif Ethique sur l’étiquette, CCFD-Terre Solidaire, Sherpa et Mighty Earth – est celle des seuils définis par la Loi. Elle s’applique aux entreprises qui emploient plus de 5 000 salariés en France ou plus de 10 000 salariés à la fois en France et à l’étranger. Ces ONG estiment que la définition de ces seuils d’application et l’opacité des entreprises rendent difficile l’identification des sociétés concernées par ces obligations. Le texte s’applique aux sociétés anonymes (SA), aux sociétés européennes (SE), aux sociétés en commandite par actions (SCA), aux sociétés par actions simplifiées (SAS).
Si la forme sociale d’une entreprise est facilement accessible sur le Système national d’identification et du répertoire des entreprises et de leurs établissements (Sirene), la connaissance du nombre de salariés dans une entreprise et ses filiales est beaucoup plus complexe à déterminer. Elle requiert en effet d’identifier toutes les filiales directes et indirectes d’une entreprise française en France et à l’étranger, de connaître, pour chacune de ces entités, le nombre de personnes qui y sont employées. Ceci constitue, comme le souligne Les Amis de la Terre, un défi de taille compte tenu de l’opacité qui entoure l’activité des entreprises dans une économie mondialisée.
Par ailleurs, le texte n’inclut pas toutes les sociétés. L’article L 225-102-5 du Code de commerce est en effet inséré dans le chapitre V du Code de commerce, relatif aux sociétés anonymes. Aucun article de ce type n’étant reproduit dans le chapitre III relatif aux sociétés à responsabilité limitée (SARL), on peut tout à fait en déduire, a contrario, que ces dernières n’y sont pas soumises. Cela peut amener certaines sociétés à opérer des stratégies pour échapper à la Loi, souligne CCFD-Terre Solidaire. Les multinationales ZARA et H & M, régulièrement mises en cause par la société civile pour les conséquences environnementales et éthiques de leur modèle de production, n’ont ainsi, compte tenu de leur forme sociale (SARL) pas à se préoccuper de l’identification dans leur chaîne de production de quelconque violation des normes sociales ou environnementales sur le fondement de la loi française.
Il faudrait donc que toutes les formes sociales puissent être concernées par la loi vigilance, afin que puissent être déjouées les stratégies de contournement.
Autre point faible du texte : pour pouvoir engager la responsabilité d’une société sur le fondement du devoir de vigilance, il faut qu’une relation commerciale établie soit avérée.
Pour les ONG, certaines sociétés vont passer à travers les mailles du filet législatif ce qui n’est pas forcément juste. En effet, les termes utilisés dans la Loi sont très flous.
Comme le souligne l’ONG Mighty Earth, la notion de « relation commerciale établie » peut être interprétée de diverses façons. La plupart des entreprises estiment que cette dernière ne doit s’entendre que de façon très stricte se limitant au maillon N-1 de la chaîne, alors que l’ONG soutient elle, en utilisant l’exemple des conséquences des élevages de bœufs sur la déforestation pour laquelle une procédure contre le groupe CASINO a été introduite, que cette relation doit s’appliquer à l’ensemble de la chaîne, les plus gros impacts se situant souvent au niveau de la production, impliquant des fournisseurs indirects.
Pour l’ONG, le point crucial est celui de la responsabilité d’un acteur final par rapport aux pratiques qu’il a sur sa chaîne et il existe aujourd’hui trop peu d’éléments juridiques suffisamment robustes pour pouvoir quantifier les impacts et délimiter la proportion de responsabilités d’un acteur final sur l’ensemble d’une chaîne.
Il faudrait donc en complément de la cartographie des risques prévue dans le texte, établir une cartographie des impacts directs et indirects tout au long de la chaîne.
Les ONG pointent du doigt la carence de l’État quant à la vérification de son application
Danièle Auroi du Collectif Éthique sur l’étiquette, à l’époque députée et porteuse de la loi, estime tout comme d’autres ONG (CCFD-Terre Solidaire, Sherpa, Amis de la Terre) que l’État depuis l’adoption du texte n’a pas fait son travail de vérification de sa correcte mise en œuvre.
Les services de la direction de la concurrence, de la consommation ou encore de la répression des fraudes ne vérifient pas, ou trop peu, que les multinationales visées par la Loi en respectent bien les attendus, ce qui, de son point de vue n’est pas toujours le cas.
Par ailleurs, certaines sociétés qui devraient être soumises à cette loi y échappent notamment parce que le gouvernement français n’a pas mis les moyens nécessaires en place pour établir une liste des sociétés concernées ce qui devrait être son travail.
Les ONG regrettent qu’une commission d’évaluation de l’application de la loi n’ait pas été mise en place pour en garantir l’effectivité. Elles insistent pour que soit créée une structure dédiée pour vérifier que toute la chaîne de valeur y compris les filiales situées à l’autre bout du monde respectent bien les attendus légaux.
Cet état de fait les a d’ailleurs amenés à se regrouper pour créer le « Radar du devoir de vigilance », une sorte d’observatoire de l’application de la loi, afin notamment d’en relever les carences d’application se substituant ainsi à ce qui devrait être une mission de service public. Selon le Radar du devoir de vigilance, qui fait, à ce jour, office de vigie citoyenne : « certaines grandes entreprises échappent à leur analyse en raison de l’opacité dans laquelle les entreprises opèrent et du manque de cohérence dans les données publiques disponibles ».
Les ONG estiment que la mise en œuvre des lois est de la responsabilité de l’État et soulignent que la France devrait s’inspirer de l’exemple allemand dont la loi sur le devoir de vigilance du 16 juillet 2021 prévoit qu’une autorité la BAFA (Bundesamt für Wirtschaft und Ausfuhrkontrolle, en français Office fédéral de l’économie et du contrôle des exportations) est chargée de vérifier que les entreprises concernées respectent bien leurs obligations.
Les ONG participant au Radar du devoir de vigilance demandent aux pouvoirs publics :
- D’établir, de publier et de mettre à jour annuellement la liste des entreprises soumises au devoir de vigilance.
- De rendre accessible l’ensemble des plans de vigilance sur une base de données publique.
- De renforcer les exigences de transparence afin de rendre plus accessibles les données financières et extrafinancières sur les entreprises.
- De baisser et simplifier les seuils d’application de la loi, et étendre son champ d’application à l’ensemble des sociétés commerciales, et ce afin que le respect des droits humains et de l’environnement par les entreprises françaises, tout au long de leur chaîne de valeur, devienne une réalité.
- De faire évoluer la mesure du devoir de vigilance qui devrait dépendre du type d’activité, du risque inhérent aux opérations et non de la taille de l’entreprise.
Les ONG estiment que le régime de la preuve est insatisfaisant
La loi relative au devoir de vigilance prévoit deux types de recours.
Un premier type de recours peut être formé en cas de manquement à l’obligation d’établir, de publier et de mettre en œuvre un plan de vigilance. Une procédure en deux temps est organisée à cet effet : la mise en demeure et l’injonction.
Tout d’abord, après avoir constaté le manquement, l’intéressé (un salarié, une organisation syndicale, une ONG…) peut adresser par écrit à l’entreprise une mise en demeure de respecter son obligation dans un délai de 3 mois. Si elle n’a pas encore élaboré ni mis en œuvre le plan de vigilance, l’entreprise est sommée de respecter cette obligation rapidement.
Ensuite, si elle n’y satisfait pas dans un délai de 3 mois, « toute personne justifiant d’un intérêt à agir » peut alors saisir le juge pour lui demander d’enjoindre à l’entreprise de respecter ses obligations, le cas échéant sous astreinte, c’est-à-dire en la condamnant au paiement d’un somme d’argent par jour de retard.
Un second recours pourra être formé pour engager, cette fois-ci, la responsabilité civile délictuelle de l’entreprise fautive. Plus précisément, cette dernière pourra engager sa responsabilité lorsqu’un dommage causé par une filiale ou un sous-traitant a été constaté et qu’elle aurait raisonnablement pu éviter celui-ci avec un plan de vigilance effectif, c’est-à-dire comportant des mesures de vigilance raisonnables propres à identifier et prévenir les risques, et effectivement mises en œuvre. La responsabilité dont il s’agit ici est une responsabilité civile de droit commun pour faute, telle qu’elle résulte des articles 1240 et 1241 du Code civil.
La charge de la preuve incombe à la victime qui devra démontrer trois choses.
En premier lieu, l’existence d’une faute. Selon la loi de 2017, le fait générateur du préjudice correspond au manquement aux obligations d’élaborer, de publier, de mettre en œuvre de manière effective le plan de vigilance. Par conséquent, il s’agira de prouver que l’absence de plan, sa défaillance ou son défaut de mise en œuvre constituent l’origine du dommage subi.
En second lieu, la victime devra se prévaloir d’un préjudice. La loi vise les dommages graves ainsi que certaines atteintes spécifiques. Ainsi, le dommage doit-il correspondre à une atteinte grave envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ou l’environnement.
En dernier lieu, la victime devra établir qu’existe un lien de causalité entre la faute et le préjudice subi. Le manquement aux obligations de vigilance pesant sur les sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre doit avoir entraîné la production du dommage. À cet égard, le Conseil constitutionnel a précisé la nécessité d’établir un lien de causalité direct entre les manquements et le dommage (Cons.const.23.03.17, décision n° 2017-750 DC, §27).
Seule la faute de la société mère ou donneuse d’ordre peut engager sa responsabilité.
L’action en responsabilité peut être introduite par « toute personne justifiant d’un intérêt à agir ».
Le renversement de la charge de la preuve est pour les Amis de la Terre, Notre affaire à tous, FIDH et CCFD-Terre Solidaire, un des éléments clés perdus dans la bataille face aux lobbies pendant le processus d’adoption de la loi sur le devoir de vigilance. Il aurait permis de faire peser sur les entreprises la charge de démontrer qu’elles ne sont pas responsables des faits dont elles sont accusées, rétablissant ainsi une forme d’égalité des armes entre les personnes affectées et les multinationales.
Les Amis de la Terre estiment que : « Sans ce renversement de la charge de la preuve, l’accès à la justice continue à être un vrai parcours du combattant, car il est très difficile pour les personnes affectées et la société civile de réunir les preuves nécessaires pour engager la responsabilité juridique d’une multinationale, de nombreuses informations clés étant détenues par l’entreprise elle-même, a fortiori lorsqu’elles sont situées à l’étranger. À cela s’ajoutent les dangers et difficultés de collecter des preuves et témoignages sur le terrain dans des pays comme l’Ouganda. »
Les ONG souhaitent pour plus d’efficacité que la charge de la preuve soit inversée.
Des sanctions très insuffisantes
Si certaines ONG, dont Les Amis de la Terre estiment qu’un des points forts de la loi est la possibilité offerte à toute personne justifiant d’un intérêt à agir de saisir la justice avant tout dommage pour enjoindre à la société de respecter ses obligations, le cas échéant sous astreinte, elles sont beaucoup plus réservées quant aux sanctions prévues.
Le texte de 2017 a, du point de vue des ONG, retenu des sanctions a minima prévoyant uniquement, si la responsabilité civile de la société mère ou donneuse d’ordre est engagée, une possibilité pour le juge de la condamner au paiement de dommages et intérêts pour réparer le préjudice subi et d’ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de sa décision.
Le projet de loi initial prévoyait des sanctions beaucoup plus impactantes que celles adoptées dans le texte final. En effet en cas de manquement aux obligations, la loi prévoyait un triple mécanisme. D’abord, une mise en demeure de respecter ces obligations devait être adressée à l’entreprise visée. Ensuite, le juge, saisi par l’auteur de la mise en demeure, pouvait prononcer une injonction et infliger une amende civile à la société de 10 millions d’euros « en proportion de la gravité du manquement et en considération des circonstances de celui-ci et de la personnalité de son auteur ». Enfin, l’amende passait à 30 millions si les dommages causés étaient considérés comme très importants.
La mesure concernant l’amende a été censurée par le Conseil constitutionnel, qui a indiqué que « l’imprécision des termes employés par le législateur pour définir les obligations qu’il créait » ne permettait pas d’instituer une sanction aussi importante. Compte tenu de ces imprécisions, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions de la loi prévoyant des amendes. Il a en effet estimé que les termes employés par le législateur pour la rédaction du texte, tels que « mesures de vigilance raisonnable » et « actions adaptées d’atténuation des risques » étaient trop généraux. La mention liée aux « droits humains » et aux « libertés fondamentales » était, quant à elle, large et indéterminée et, pour finir, le périmètre des sociétés entrant dans le champ de l’infraction était très étendu.
Les ONG interrogées dont Sherpa et le Collectif Éthique sur l’étiquette soutiennent que les amendes « auraient créé une incitation plus forte pour les entreprises à respecter cette loi ».
À cet égard, ils considèrent cette position comme décevante, car c’était une incitation forte pour les entreprises.
Les ONG et le député initiateur et rapporteur de la loi, Dominique Potier qui regrettent la censure de l’amende civile appellent de leurs vœux une réforme de ce point dans la prochaine mandature.
Conclusions et recommandations des ONG
En conclusion, pour ce qui est de la question du caractère adapté et efficace de la Loi de 2017, les recommandations des ONG sont les suivantes :
- Les seuils définis doivent être revus à la baisse, car ils sont trop élevés et excluent des entreprises qui du fait de leurs activités devraient légitimement être visées par la Loi.
- Toutes les sociétés quelle que soit leur forme sociale doivent être concernées par la loi vigilance dès lors qu’elles dépassent les seuils afin d’éviter les stratégies de contournement.
- La notion de relation commerciale établie doit être redéfinie de façon plus claire en prenant en compte toute la chaîne de valeur en incluant les fournisseurs indirects.
- La mesure du devoir de vigilance doit évoluer avec une prise en compte, outre la cartographie des risques, d’une cartographie du type d’activité, du risque inhérent aux opérations dépassant ainsi le seul critère de la taille de l’entreprise.
- Les pouvoirs publics doivent mettre en place un organisme ad hoc chargé d’établir, de publier et de mettre à jour annuellement la liste des entreprises soumises au devoir de vigilance, de rendre accessible l’ensemble des plans de vigilance sur une base de données publique, de renforcer les exigences de transparence afin de rendre plus accessibles les données financières et extrafinancières sur les entreprises.
- Un renversement de la charge de la preuve doit être opéré pour une véritable efficacité de la Loi.
- La mise en place d’une amende civile dissuasive.