Le travail des jeunes en transition dans le monde
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Le travail des jeunes en transition dans le monde

Reflet d'une société en quête de sens

Approche et objectifs de l’étude

Notre rapport EYES portant sur les préoccupations des jeunes à travers le monde avait fait ressortir un sentiment de défiance vis-à-vis de l’entreprise ainsi qu’une série de craintes partagées internationalement. Dans la présente étude, nous avons souhaité aller plus loin dans l’exploration de la relation de la jeunesse au travail. Fruit d’une analyse multifacette mêlant revue de littérature, réflexions d’un groupe de travail et audition d’experts, elle s’articule en trois parties permettant de dresser plusieurs constats et de tirer quelques enseignements pour les différents acteurs concernés.

1. Le travail des jeunes – une réalité ?

Dans une première partie examinant la légitimité d’un traitement des « jeunes » comme une réalité homogène, nous illustrons d’abord le manque de pertinence du recours à la notion de « génération Z » pour saisir la façon dont la jeunesse appréhende le monde professionnel.

 À l’aide de la distinction entre marchés de l’emploi ouverts et marchés de l’emploi fermés, nous soulignons ensuite l’existence d’une pyramide des besoins relatifs à l’environnement de travail. La réalité d’une telle pyramide explique d’ailleurs la priorité accordée par les jeunes d’Amérique du Nord et d’Europe à leur bonheur personnel, là où ceux vivant dans d’autres régions du globe se soucient davantage de leur réussite, en particulier professionnelle (Higher Education For Good Foundation, 2023). Sans une certaine sécurité – financière, contractuelle etc. -, les considérations environnementales, sociales et de gouvernance ne peuvent qu’être reléguées au second plan lors de la recherche d’emploi. Ces éléments appuient l’idée selon laquelle, bien qu’étant confrontées à des réalités économiques structurellement distinctes, les jeunesses originaires de différents pays n’en demeurent pas moins comparables : une fois prise en compte la hiérarchie des besoins, il devient possible de déceler des aspirations fondamentales communes.

Loin d’être complètement étrangères aux préoccupations des générations précédentes, ces attentes matérialisent l’esprit du temps. Ainsi, tous âges confondus, le modèle d’emploi en vigueur séduirait de moins en moins en nourrissant le sentiment d’un « contrat social de travail » dégradé. Il conviendrait de ce fait de le réinventer. Les diagnostics effectués quant au besoin de sens, à l’individualisme, à la défiance et à la relation marchande qu’auraient désormais les jeunes avec l’entreprise sont sans doute hâtifs lorsque de telles caractéristiques sont attribuées à leur seul âge. D’ailleurs, à rebours de ce qui a pu être affirmé, les jeunes ne semblent pas spontanément plus réceptifs aux nouvelles formes de travail popularisées après la pandémie de Covid-19 (flex office, coworking etc.) (Poirel & Coppola, 2021). De nombreux facteurs suggèrent que les revendications des jeunes en matière d’emploi sont l’expression d’insatisfactions sociales latentes plus larges auxquelles les décideurs publics et privés ne sont pas parvenus à répondre.

Aussi, s’il est vrai que « [les] jeunes générations ont intégré une [plus grande] volatilité des expériences professionnelles » (Sénat, 2021), elles ne semblent pas pour autant remettre en cause le modèle de l’entreprise en soi. La défiance exprimée par les jeunes s’inscrit dans le contexte d’une crise de confiance envers les institutions et envers l’avenir, qui aurait débuté dès 2007-2008 à la suite de la crise financière internationale (OCDE, 2021). Nos interlocuteurs se sont d’ailleurs demandé si la succession de crises qui ont depuis marqué notre époque n’avait pas conduit les individus à développer une plus forte aversion au risque qu’au cours des périodes antérieures. Quoi qu’il en soit, le travail étant manifestement au centre d’une évolution sociétale globale, les problématiques soulevées ne peuvent être dissociées de considérations sur la qualité et le niveau de vie de la population dans son ensemble.

2. Que faire pour répondre aux attentes des jeunes en matière de travail ?

Dès lors, notre deuxième partie a pour but de présenter les options qui s’offrent aux acteurs impliqués – institutions et entreprises – afin de rétablir un lien avec les jeunes et par là contribuer positivement au renouveau de leur rapport au travail. D’une façon générale, la première étape pour ces parties prenantes est d’abaisser leurs barrières à l’entrée. Du côté des institutions et des pouvoirs publics, il importe d’œuvrer à une représentation effective et efficace des jeunes au sein des instances décisionnelles. Cela est vrai pour l’élaboration des politiques publiques en général et non uniquement pour celles relatives à l’emploi. Comme le résume l’OCDE : pas de confiance sans participation (OCDE, 2021). Pour rendre les normes sociétales acceptables, il faut assurément que chacun ait la possibilité de prendre part à leur production. 

En ce qui concerne les entreprises, celles-ci doivent avant tout s’assurer de la cohérence des valeurs qu’elles affichent et des promesses qu’elles font en matière de responsabilité avec leurs actions. La jeunesse est à n’en pas douter particulièrement attentive à la notion d’exemplarité et à sa dimension inspirante du fait de l’évanouissement de l’autorité dans nos sociétés contemporaines.

Les entreprises devraient de surcroît revoir à la baisse leurs exigences en matière d’expérience professionnelle requise préalablement à l’embauche afin de signaler clairement leur intérêt pour le potentiel des candidats et ainsi favoriser une relation de confiance avec les collaborateurs. La formation continue semble par conséquent être un outil non négligeable d’attraction et de rétention des talents.

Dans le but de répondre à la demande de sens émanant de la jeunesse et d’éviter de provoquer l’incompréhension des collaborateurs en cas d’écart observé entre les décisions prises par la direction et leurs effets, les entreprises devraient également mettre l’emphase sur la traduction de leurs objectifs extra-financiers et de leur raison d’être en missions et accomplissements individuels concrets. Le rôle des managers est ici crucial puisque ce sont eux qui doivent faire entrer le travail des employés dans une narration cohérente articulant stratégie et terrain, pour donner du sens au quotidien, en montrant à chacun en quoi il contribue au projet collectif. C’est en outre aux managers que revient la tâche d’inspirer un sentiment de sécurité psychologique (Gallo, 2023) parmi les membres de leurs équipes. Il faut donc que le bien-être des individus devienne un indicateur de performance au même titre que les indicateurs financiers pour les responsables intermédiaires. La posture des jeunes managers (âgés de moins de 35 ans) est ici révélatrice d’injonctions paradoxales : s’ils intègrent mieux les problématiques évoquées précédemment dans l’accomplissement de leur fonction (par exemple en demandant à être davantage formés aux risques psycho-sociaux), ils se sentent pourtant moins légitimes que leurs aînés dans son exercice. Les jeunes managers semblent en effet ne pas se donner suffisamment de temps pour acquérir les compétences dont ils ont besoin (Alan & Harris Interactive, 2023).

Pour contribuer à la réinvention du contrat social de travail actuellement perçu comme dégradé, les entreprises doivent enfin veiller à favoriser la transmission intergénérationnelle des savoirs et des savoir-faire. Cela peut paraître contre-intuitif, mais donner un nouveau souffle à l’adhésion collective à l’emploi salarié passe par l’acceptation d’une individualisation du rapport au travail.

3. Évolutions techniques et sociétales et attentes de la jeunesse

Pour évaluer les conséquences qu’elles seraient susceptibles de produire sur la jeunesse, la dernière partie de notre enquête analyse deux tendances saillantes en lien avec le monde professionnel : (1) l’émergence de l’économie verte pour répondre aux défis environnementaux et (2) la numérisation et l’automatisation des métiers par l’intelligence artificielle (IA). Les jeunes se trouvent en première ligne face à ces changements.

Ainsi, non seulement les bouleversements climatiques ont des effets directs et quantifiables sur le monde du travail, mais ceux-ci touchent particulièrement les travailleurs pauvres et issus du secteur informel – parmi lesquels les jeunes sont surreprésentés. Face à de tels phénomènes, le développement de l’économie verte – qui aspire à « une amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale, tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources » (UNEP, s.d.) – et ses 25 millions de nouveaux emplois paraissent être une aubaine pour des jeunes en quête de sens. Néanmoins, outre les obstacles que constituent les lacunes – manque de connaissances techniques, de compétences en gestion financière etc. – identifiées par l’OIT (OIT, 2022) pour permettre à la jeunesse de pleinement bénéficier de cette dynamique, c’est le risque du travail informel – sa précarité, son instabilité – qui guette ce nouveau champ d’activité.

De la même manière, en sus d’offrir des opportunités asymétriques aux jeunes selon leur localisation géographique et leur appartenance nationale, la numérisation des métiers, et plus particulièrement l’introduction de l’IA au sein des organisations, met en péril la pérennité de l’emploi. Grâce à ce « stagiaire haut de gamme » (Verma & De Vynck, 2023) que constituent les programmes d’IA générative, Goldman Sachs évoque la possible automatisation de l’équivalent de 300 millions de postes aux États-Unis et en Europe (Goldman Sachs, 2023). En admettant que celle-ci n’aboutisse pas à une pure destruction mais simplement à une transformation drastique des métiers, il n’en demeure pas moins  que l’utilisation croissante de l’IA s’accompagne dans l’immédiat d’une suppression massive de tâches pour lesquelles il fallait autrefois disposer d’une main d’œuvre qualifiée et de la création simultanée d’un immense réservoir de travailleurs du clic disponibles pour répertorier et cataloguer de grandes quantités de données textuelles, sonores ou visuelles. Autrement dit, le développement de l’IA – en particulier générative – va pour l’instant de pair avec une précarisation des conditions de travail, à laquelle les jeunes diplômés sont particulièrement exposés. En outre, l’IA étant « par nature imprévisible, parce qu’auto-apprenante » (Benhamou, 2022), il apparaît nécessaire pour les entreprises d’épouser elles-mêmes une dynamique apprenante et d’œuvrer à la préservation de la diversité des compétences de leurs employés, ceux-ci devant ensemble réunir savoir-faire techniques et connaissances multidisciplinaires afin de pouvoir prendre du recul et exercer leur esprit critique dans le déploiement et la gestion de cette technologie.

Conclusion

Il ressort de notre étude que le principal risque auquel sont et seront confrontés les jeunes aspirant à s’insérer sur le marché du travail est l’informalité et la précarité de l’emploi. La priorité absolue face aux évolutions techniques et sociétales mises en avant ci-dessus doit donc être – comme le suggère l’OIT – de promouvoir l’économie formelle et de garantir des conditions de travail décentes. Dans un environnement mouvant, le modèle de l’entreprise et de l’emploi d’hier s’avère souvent dépassé, mais celui de demain reste encore à inventer. Nous sommes présentement dans un « entre-deux », source de frustration et de malentendus.

Pour que les aspirations des jeunes puissent être exprimées sereinement et pour que les organisations soient en mesure d’y apporter une réelle solution, leurs besoins primaires doivent être satisfaits. L’emploi stable et formel étant perçu comme un moteur de projets de vie permettant de participer de manière accrue aux sphères sociale et politique, ce n’est qu’à cette condition que les jeunes pourront retrouver confiance en l’avenir. La réinvention du contrat social de travail doit donc s’appuyer sur une base de garanties minimales non négociables concernant les salaires et la sécurité de l’emploi. Partant, celles-ci devraient être mieux intégrées aux régulations. Il reste dès lors à déterminer l’échelon – national ou international – auquel il conviendrait d’élaborer puis d’adopter ces normes, et le degré de contrainte – volontaires ou obligatoires – qui leur permettrait d’être le plus efficaces.

Au niveau mondial, face à un droit du travail parfois absent et à des employeurs préférant la dérégulation, l’OIT pourrait par exemple élaborer un ensemble de standards sur lesquels les pays membres seraient tenus de s’aligner, à l’image de sa Convention du travail maritime de 2006 qui « constitue un véritable code du travail mondial pour les gens de mer » et leur assure « des conditions de vie et de travail décentes » (Sénat, 2012).

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