Croix de Saint George et autres symboles controversés
Très bientôt, les fans des équipes qui s’affronteront à la Coupe du Monde arriveront dans les rues de Doha. Parmi eux, des supporters de l’Angleterre, qui porteront très certainement les maillots de leur équipe et des drapeaux, arborant tous la croix de Saint Georges.
Il semble parfois étrange que certains Anglais nourrissent une obsession à l’égard des symboles de leur saint patron : en vérité, Georges était un Grec de Cappadoce, originaire de l’actuelle Turquie. Pourtant, ils ne sont pas les seuls animés d’une telle ferveur : l’Éthiope, la Géorgie et l’Espagne (aussi bien la Catalogne que l’Aragon) le revendiquent toutes comme saint patron.
D’autres voient les choses différemment, notamment parce que le symbole de la croix de Saint Georges est devenu synonyme des croisades chrétiennes, au cours desquelles on estime que près d’un million de Musulmans ont été tués. Par le passé, d’aucuns ont eu quelques problèmes à ce sujet, comme le FC Barcelone.
Cette ville est la capitale de la Catalogne : la croix apparaît donc sur le blason de son club de football. Au cours des décennies passées, le club s’est vu demander plusieurs fois de modifier son blason officiel avant de disputer des matchs dans la région du Golfe. En effet, certains forums de discussion en ligne de la région ont ardemment débattu pour savoir si les équipes qui arborent la croix de Saint Georges sont « haram » ou non.
Qu’il s’agisse de l’Angleterre, du FC Barcelone ou d’une autre équipe, il apparaît évident et inévitable qu’un symbole acceptable pour certains soit intolérable pour d’autres. Mais les symboles ne sont pas les seuls potentiels sujets à controverse : les lettres et les mots ne sont pas en reste. Cette année déjà, nous avons vu une simple lettre, le Z, causer toutes sortes de problèmes, même en sport.
Bien que sa signification reste floue, cette lettre a orné les véhicules militaires russes utilisés pour envahir l’Ukraine. Plusieurs athlètes ont ensuite adopté ce symbole pour l’afficher publiquement en compétition. Plus tôt cette année, pendant la Coupe du Monde de gymnastique organisée à Doha, le vainqueur russe de la médaille de bronze, Ivan Kuliak, est monté sur le podium avec un « Z » en morceaux de scotch sur sa veste, aux côtés de l’Ukrainien Illia Kovtun.
La Fédération internationale de Gymnastique a condamné ce geste qu’elle a déclaré choquant, puis interdit toute compétition à Kuliak et engagé des mesures disciplinaires à son encontre. En réponse, le gymnaste a insisté : « Si j’avais une deuxième opportunité, je ferais la même chose ; je l’ai vu sur nos tanks et j’ai cherché la signification de ce symbole. Il veut dire ‘pour la victoire’ et ‘pour la paix’ ».
Arc-en-ciel, droits humains et valeurs incompatibles
Les différentes significations que l’on prête aux symboles feront à nouveau parler d’elles au Qatar, lorsque la Coupe du Monde de la FIFA commencera. La question des drapeaux, des blasons et même des brassards des capitaines d’équipe aux couleurs de l’arc-en-ciel a déjà fait couler beaucoup d’encre. Cette dernière décennie, le symbole de l’arc-en-ciel s’est affiché partout dans les sociétés libérales pour soutenir ouvertement les droits et les identités LGBTQ+.
Par exemple, l’année dernière, pendant les Championnats européens de l’UEFA, le maire de Munich voulait illuminer l’Allianz Arena de la ville aux couleurs de l’arc-en-ciel lors d’un match que disputait la Hongrie. Ce geste avait pour but de dénoncer le président hongrois (Viktor Orbán) et sa politique discriminatoire envers les communautés LGBTQ+ de ce pays d’Europe centrale, bien que l’UEFA ait refusé cette demande.
La FIFA et les organisateurs qataris du tournoi se sont accordés pour que les drapeaux arc-en-ciel soient autorisés dans les stades, une mesure importante pour l’organe de gouvernance mondiale du football, qui veut promouvoir la tolérance et l’inclusion. Que ces gestes aient un impact ou non, de nombreux fans de pays comme le Danemark, les États-Unis et le Brésil considéreront que faire flotter les drapeaux LGBTQ+ est un droit humain fondamental et non pas l’objet d’une permission spéciale.
Ce qui n’aura pourtant pas suffi à éviter la controverse : en avril, le Major General Abdulaziz Abdullah Al Ansari a déconseillé aux fans en visite d’afficher des symboles LGBTQ+ en public. Il aurait déclaré : « S’il [un fan] fait flotter le drapeau arc-en-ciel et si je le lui confisque, ce n’est pas vraiment parce que j’ai réellement envie de le prendre et de l’insulter, c’est pour le protéger : quelqu’un autour de lui pourrait l’attaquer, je ne peux pas garantir le comportement de l’ensemble de la population ».
Les mots d’Al Ansari ne sont peut-être pas sans fondement. Suite à une présentation que j’ai donnée au Qatar juste avant la pandémie, un responsable qatari m’a affirmé : « je ne veux pas de la Coupe du Monde dans mon pays, car elle menace mes croyances islamiques. Je ne veux pas voir des gens se tenir la main et s’embrasser dans l’espace public, ni voir des personnes de même genre en couple ».
Symboles dans les compétitions internationales : qui définit le cadre moral ?
Ces 30 dernières années ont été marquées par des changements sans précédent, dont la mondialisation et la digitalisation. Plus que jamais, en tant que citoyens du monde, nous sommes exposés à de nouveaux modes de vie, de consommation et de communication. Nous ne vivons plus dans un monde où un petit groupe de nations dicte une hégémonie prédominante, ni dans lequel on peut rapidement se protéger de points de vue différents ou opposés.
Par conséquent, les événements comme les championnats de football seront organisés de plus en plus souvent par des pays qui n’ont jamais accueilli ces rencontres, ce qui mettra en lumière des valeurs, des normes et des conventions inhabituelles pendant leur déroulement. En parallèle, les pays hôtes découvrent que l’on parle d’eux d’une manière qu’ils n’avaient peut-être pas anticipée, ou bien se retrouvent confrontés à des modes de vie qu’ils peuvent percevoir comme menaçants.
Dans ces circonstances, des symboles et signes apparemment innocents peuvent se charger d’une connotation idéologique, politique et socioculturelle, et nous mettent au défi soit de nous confronter à ce qui nous dérange, soit de modifier notre conception de l’acceptable. Ce type de processus prend du temps, les attitudes tendent à évoluer d’une génération à l’autre plutôt qu’au sein d’une même génération.
En attendant, les organes décisionnels, les organisateurs, les clubs, les équipes, les athlètes et les sponsors deviennent malgré eux les arbitres de ce qui est acceptable ou non. C’est une lourde tâche qui leur revient, bien que les Nations Unies aient produit différentes normes qui peuvent nous servir à justifier une appréciation commune de la façon de manier les signes et les symboles.
On imagine que la lettre Z ne sera pas brandie lors de la Coupe du Monde de la FIFA, contrairement à la croix de Saint Georges et à l’arc-en-ciel LGBTQ+, tout comme, vraisemblablement, d’autres symboles et signes qui peuvent poser problème. Mais, dans notre monde international et digital, qui, en fin de compte, peut décider de ce qui est acceptable ou non ?