Cet article a originellement été publié sous le titre “Métavers, vers une explosion de la bulle 3.0 pour des usages moins universels mais plus ciblés ?” sur le site internet de David Fayon.
Le métavers fait couler beaucoup d’encre depuis le changement de nom du Groupe Facebook en Meta il y a de cela un an. Alors que des solutions embryonnaires étaient déjà proposées avec Second Life notamment en 2005 lorsque le terme Web 2.0 est apparu, les casques de réalité virtuelle, les NFT, la blockchain et l’évolution des débits offrent au métavers un intérêt renouvelé. Entre fantasmes, nouvel eldorado pour les marques et réalité, qu’en est-il ?
Métavers et positionnement dans le Web3
Depuis plusieurs mois, le terme métavers est tendance. Métavers (de l’anglais meta [au-delà] et universe [univers]) est un univers virtuel en 3D dans lequel une personne peut interagir avec d’autres personnes généralement représentées par des avatars. Ce peut être des mondes virtuels et persistants connectés à Internet via la réalité augmentée. Le terme a d’ailleurs été élu mot numérique 2021.
Au même titre que beaucoup d’entreprises parlent de transformation digitale sans réellement la réaliser mais plus pour occuper le terrain médiatique, il convient de savoir de quoi on parle réellement, car depuis l’événement déclencheur du 28 octobre 2021 avec la mue du Groupe Facebook rebaptisé Meta, des sur-attentes sont arrivées. Depuis, l’impression est à la confusion avec des services numériques existants rebadgés et comptabilisés dans le métavers comme si des chiffres d’affaires se retrouvaient à plusieurs reprises additionnés sans dédoublonnage. Sinon comment un cabinet, par ailleurs décrié sur le plan de ses recommandations sanitaires comme McKinsey, pourrait tabler sur une projection de chiffre d’affaires attendu pour le métavers de 5 000 milliards de dollars en 2030 soit l’équivalent du PIB du Japon, la troisième puissance économique mondiale derrière les États-Unis et la Chine ? Les autres cabinets tels Gartner, Deloitte, Accenture, BCG ont également produit des études avec des chiffres montrant un potentiel énorme pour le métavers. Il ne s’agit que de projection et les modèles ont du mal sur un horizon de 8 ans en l’occurrence à anticiper des ruptures.
Observons aussi que les investissements internes des acteurs dans le métavers autour de 20 milliards de dollars sont plus faibles que ceux des Venture Capital qui frôlent pour leur part les 100 milliards de dollars.
Le métavers est à la fois à considérer du point de vue des entreprises technologiques qui veulent vendre leurs produits et de celui des entreprises utilisatrices (notamment les grandes marques et le secteur du luxe) qui pourraient avoir des relais de croissance ou alors souhaitent éviter de « rater le train » si des concurrents emboîtent le pas. Le fait d’être présentes trop tard pour les entreprises pourrait avoir des conséquences en matière de parts de marché perdues. D’où des expériences actuellement en cours souvent sous forme de proof of concept et par tâtonnement sans forcément bâtir un business model solide et rentable dans la durée.
Alors que des univers multi-utilisateurs persistants avec même une monnaie (le Linden dollars à l’instar de Second Life) existent depuis le Web 2.0 au milieu des années 2000, la nouveauté réside plus dans la combinaison avec d’autres éléments comme le développement des NFT (qui permettent plus facilement la propriété de biens numériques virtuels) alliés à la blockchain, alors que la réalité virtuelle et la réalité augmentée ont un intérêt accru avec le progrès des équipements (les casques de réalité virtuelle comme le Meta Quest résultant du rachat d’Oculus par Facebook en 2014 et les gants haptiques qui permettent de reproduire la sensation du toucher). Les concepts existent déjà, la question est celle de leur agencement pour créer de la valeur utile et non futile. On pourra noter que le bitcoin n’a pas eu besoin du métavers pour se développer.
Un système du métavers en couches est même modélisé en 4 couches, en 7 couches ou en même en 10 (image ci-dessous).
Nous vivons l’étape du Web 3.0, conjonction de l’Internet des objets et du Web sémantique, comme je le définissais dans mon livre Web 2.0 et au-delà. Cette étape suit celle du Web 2.0 qui est la conjonction d’un Web collaboratif où l’internaute est acteur et interagit en produisant du contenu, d’évolutions techniques (syndication de contenu, feuilles de style, etc.) et d’un rapport aux données avec les plateformes qui se les approprient souvent contre la gratuité apparente d’utilisation d’un service.
Dans la définition du Web3 qui prolonge le Web 3.0, des aspects sont intégrés qui résultent de la blockchain : smart contracts, NFT, cryptomonnaies, et en conséquence le fait que l’on passe d’un modèle centralisé à un modèle distribué. Ceci est illustré dans la dernière colonne du schéma de Frédéric Cavazza ci-dessous.
Franck Confino a publié voici peu avec un titre provocateur un billet sur le métavers qu’il convient de lire.
Entre les enthousiastes du métavers et les sceptiques, il existe un juste milieu même si la bulle métavers pourrait éclore. Ce n’est pas parce que nous avons eu la bulle Internet en mars 2000 et pas vraiment de bulle pour le Web 2.0 qu’avec le Web3 qui se profile qu’il n’y en aura pas.
On pourrait même se demander si nous ne sommes pas au début du déclin du métavers à cause des sur-attentes.
Les questions qui en résultent sont avant tout :
- Pour quels usages et qui ne pourraient pas être réalisés dans la vie réelle ? Et avec quelle valeur ajoutée ?
- Les outils seront-ils acceptés pour un usage intensif (6 heures par jour ou plus et par qui ?) ?
- Est-ce que ces univers métaversiques seront respectueux de l’environnement avec l’ensemble des capteurs et des données produites et avec un usage de blockchains éthiques, plus à preuve d’enjeux que de calcul ? La consommation énergétique pourrait exploser avec les représentations virtuelles en 3D du monde physique et les nombreuses interactions et la prolifération de données et de contenu qui en résulte.
- Quels seront les standards potentiels de la réalité virtuelle, car nous aurons des mondes fermés, des passerelles entre mondes virtuels, entre mondes virtuels et monde physique et inversement, avec aussi une portabilité des données et des produits créés dans le métavers ?
- Quel droit appliquer dans le métavers et quelle régulation possible par les États sur un écosystème décentralisé ?
Aussi, il apparaît crucial de concilier métavers et technologies low cost pour ne pas constituer des gouffres énergétiques.
Acceptation (totale ou partielle) du métavers et usages possibles
Une récente étude porte sur une comparaison de tâches effectuées classiquement et dans le métavers (Michael Crider, PCworld) et les résultats sont intéressants.
Les personnes testées dans cette étude « ont signalé une augmentation de 35 % de la charge de travail, de 42 % de la frustration, de 11 % de l’anxiété et de 48 % de la fatigue oculaire. Les participants ont évalué leur propre productivité à 16 % de moins et leur bien-être à 20 % de moins ». Notons qu’entre la configuration de travail en réalité virtuelle proposée par le marché aujourd’hui et dans quelques années, des évolutions ergonomiques seront essentielles pour faciliter son acceptation. En particulier, les lunettes sont moins contraignantes qu’un casque, le compteur de voiture peut être augmenté d’informations, ce qui est encore embryonnaire actuellement. La projection de la réalité sur le virtuel permet ainsi d’augmenter le virtuel pour ne pas isoler celui qui porte le casque ou un support qui est toujours une contrainte. Nous ne sommes pas esclaves de l’outil.
Passer 8 heures avec un casque de réalité virtuelle ou un équipement spécifique n’est pas viable pour tous. Il semblerait que la réalité virtuelle soit plus pertinente pour certaines tâches ciblées et pour une partie de la journée avec à terme la permutation d’un mode métavers à un mode IRL selon les tâches et actions à réaliser. Il est probable que comme pour le télétravail induit par la Covid-19, un équilibre va s’opérer, car le tout télétravail n’est pas viable. En effet, l’être humain reste un animal social qui a besoin de voir ses collègues et d’interagir pour ne pas déprimer. Un usage maîtrisé du métavers serait préférable même s’il existera aussi des comportements addictifs comme pour le jeu vidéo. D’un point de vue sociétal, nous risquons également un grand écart entre des gilets jaunes aux revendications légitimes et des personnes aux contacts virtualisés sous forme d’avatars.
Une récente étude de l’IFOP avec Talan sur le métavers confirme que la technique reste peu identifiée par le grand public. 35 % des Français déclarent comprendre de quoi il s’agit, dont 14 % « précisément ». Il existe un écart logique générationnel (42 % des 18-24 ans voient ce que c’est contre 28 % des 65 ans et plus) ainsi qu’entre catégories socioprofessionnelles (59 % des diplômés du supérieur contre 27 % des personnes sans diplômes). Ces deux fractures, générationnelle et sociale, se retrouvent dans les représentations associées au métavers et les usages. Enfin 75 % des Français expriment des craintes pour le métavers y compris chez les 18-24 ans (49 %).
Avec le métavers, il s’agit de passer d’un état de consommateur du numérique avec le smartphone, l’ordinateur et la tablette vers un état d’acteur du virtuel en 3 dimensions interagissant avec des éléments comme le casque. Le but est de pouvoir jouer, échanger, consommer (en touchant les clients différemment) ou travailler différemment. Cela est bien plus large que les jeux, les loisirs (concerts avec casque de réalité virtuelle, coaching sportif, la réalité virtuelle ou augmentée, les avatars.
Avec des mondes parallèles ayant un design qui pourra se confondre parfois avec la réalité, des échanges entre avatars et hologrammes de soi seront possibles, parfois avec des humains, parfois avec des automates, sans forcément pouvoir distinguer avec l’intelligence artificielle – si le test de Turing est passé – s’il s’agit d’une interaction humain-machine ou humain-humain. Le loisir pourrait devenir, dans un monde métaversique aseptisé, l’interaction même avec le réel !
Au-delà de l’univers du jeu, on peut imaginer de nombreux usages (formation immersive, domaine culturel, monétisation de produits virtuels dans le luxe et les arts notamment avec les NFT, visite de sa future maison et agencement avant de l’acheter) avec des passerelles entre les mondes virtuel et physique, comme vendre dans le métavers et être livré à domicile ou au lieu de son choix.
La question est de savoir si la valorisation des usages grand public n’est pas nettement surévaluée alors que pour des usages ponctuels et ciblés dans l’automobile, l’aéronautique, la construction, la télémédecine des opérations dans le métavers ne seraient pas davantage créatrices de valeur ; par exemple une intervention à distance via le métavers dans un milieu hostile pour réparer un composant défaillant. La réalité virtuelle est également utilisée comme outil thérapeutique pour traiter des phobies, de l’anxiété et même des addictions. Les jumeaux numériques pourront permettre de dupliquer le collaborateur qui sera dans le monde physique avec un double dans le métavers. Entre autres cas d’usage, un jumeau numérique peut permettre de mettre en exergue des réparations à faire sur un réseau électrique ou toute maintenance à distance.
Globalement, on pourrait avoir pour le B2B des marchés de niche avec des impacts assez forts, et pour le B2C un gros nombre d’utilisateurs avec des petits impacts et le risque d’une gadgetisation des impacts. Meta serait dans ce contexte condamné à pivoter à plusieurs reprises avec intuitivement de possibles scandales à la Cambridge Analytica, en pire.
Les acteurs, de l’univers du jeu à Microsoft, Meta et les autres…
Les médias mettent les projecteurs sur Meta qui a prévu d’injecter 10 milliards de dollars jusqu’à l’horizon 2030 en visant un outil mainstream avec un casque standard, l’Oculus Quest et ses évolutions à venir. Il ne faudrait pas oublier Microsoft qui est présent dans le jeu depuis la Xbox et dans la réalité virtuelle avec le casque HoloLens. La firme de Redmond a annoncé créer le Metaverse Standards Forum par ailleurs pour agréger des acteurs autour. Et en janvier dernier, elle avait communiqué sur l’acquisition spectaculaire pour la somme record de 68,7 milliards de dollars de la société Blizzard (même si on est dans le brouillard à présent avec depuis l’intervention du régulateur britannique).
Nous pouvons également citer Roblox, Fortnite, The SandBox pour la création de jeux, mais aussi l’ambitieux Taïwanais HTC Vive créé en 2016, Nvidia, etc., sans compter les projets d’Apple qui n’a pas encore lancé de casque de réalité virtuelle et qui pourrait guider le marché comme il l’a fait avec l’iPhone pour celui des smartphones même si la Watch est, pour sa part, un semi-échec. Nous avons tout un écosystème tant du côté du matériel avec les casques, gants haptiques, que logiciel avec des applications multi-plateformes, multi-utilisateurs en open source permettant de créer un univers virtuel décentralisé comme OpenSimulator ou Unity 3D et également les plateformes de gestion de portefeuilles de cryptomonnaies tels Binance ou Coinbase.
Il est possible que la stratégie de Meta de mettre « tous ses œufs dans le même panier » soit mauvaise. Du reste, Meta est le GAFAM ou le MAAAM qui demeure le plus fragile.
En effet, outre le départ de la numéro 2 de Meta et directrice des opérations du Groupe, Sheryl Sandberg, le 1er juin 2022, nous avons eu celui de Vivek Sharma, VP d’Horizon, qui avait rejoint Facebook en 2016 et dirigeait le projet Horizon Worlds, première version du métavers de la firme de Menlo Park. Il convient en outre de se demander si un outil universel tel que le veut Meta à l’image de Facebook est adapté et de surcroît éthique relativement à l’immersion dans nos vies, et comprendre ce que veut notre cerveau, qui n’est pas forcément pour le meilleur.
Le discours officiel de Meta, livré sur la page « Même si le métavers est virtuel, son impact sera réel », est le suivant : « Nous construisons des choses incroyables pour le métavers : nous pensons que le métavers va ouvrir la voie à de nouvelles expériences. Des formations et cours en immersion, aux nouvelles opportunités dans le monde de la santé et du travail et dans d’autres domaines, nous avons hâte de voir émerger tous les avantages du métavers ». Et de rajouter « Les possibilités du métavers : le métavers va faire passer la découverte et l’apprentissage à la vitesse supérieure. L’immersion en 3D va permettre d’apprendre par la pratique au lieu d’absorber passivement des informations, de découvrir de nouveaux sujets et expériences, et d’approfondir ses connaissances. »
Enfin, je considère que plus un service est immatériel et même virtuel, plus la part de valeur ajoutée peut être forte et par conséquent les taxes également. Ainsi au Moyen Âge, nous avions la dîme (10 %) qui était prélevée. Avec l’AppStore, c’est désormais la triple dîme (30 %) pour les applications retenues. Avec Meta, il a été annoncé 50 %.
Côté français, nous avons Dassault Systèmes qui a toujours été à la pointe côté 3D avec au siècle dernier l’outil CATIA (Computer-Aided Three-dimensional Interactive Application). C’est l’un des acteurs qui pourrait peser dans le métavers côté logiciel. Et pour le matériel, la société Lynx est probablement la seule société à date qui conçoit un casque autonome de réalité mixte (virtuelle + augmentée) même si l’assemblage est réalisé à Taïwan, qui n’est pas à la pointe que côté semi-conducteurs.