Avant-propos
La présente étude est d’abord un état des lieux. De nombreux rapports ont abordé le poids des cryptomonnaies dans les relations internationales. Nous nous sommes proposés ici de fournir une vision large et synthétique de la plupart des enjeux imbriqués, économiques, financiers, sociaux, politiques, géopolitiques. À partir de cette analyse, nous avons fait état des propositions les plus largement admises tout en considérant l’impact du retour de Donald Trump à la Maison-Blanche sur l’univers des cryptomonnaies. Nous avons également tenté de faire état des fondements de la décision politique des autorités et de mettre en exergue leurs propres dilemmes.
Ainsi, les problématiques que nous posons sont les suivantes :
- Est-il possible d’esquisser une évaluation globale des risques liés au développement de ces cryptomonnaies ?
- Quelles ambitions pour les cryptomonnaies dans le projet MAGA ?
Dans une première partie, nous revenons sur les points de convergence entre la communauté américaine et les communautés cryptos. En effet, la culture libérale et l’utopie d’une monnaie échappant au contrôle étatique sont des facteurs clés pour comprendre le développement des monnaies virtuelles outre-Atlantique. Néanmoins, nous venons problématiser ce mythe en démontrant qu’en vérité, les cryptos et plus particulièrement le Bitcoin n’offrent qu’un pseudo-anonymat.
Dans une seconde partie, nous dressons l’ensemble des risques et des limites liés aux cryptomonnaies. D’abord, sociétaux avec des enjeux de santé mentale à travers le risque de la spéculation et de l’addiction aux gains rapides. Puis, le risque de déstabilisation des marchés financiers par la forte volatilité structurelle de la valeur du Bitcoin ou des comportements mimétiques et moutonniers qui viennent par exemple gonfler la valeur du Dogecoin. Nous pouvons ajouter l’intégration et l’interconnexion croissante entre les cryptoactifs et le système financier traditionnel qui représentent un sujet de préoccupation pour les pouvoirs publics. Au-delà d’un certain niveau d’exposition, une crise dans le secteur des cryptoactifs se propagerait mécaniquement au système financier plus large, avec des conséquences profondes pour l’économie en général, comme des phénomènes de contraction du crédit. Un autre risque que nous soulignons est celui de la fragilité de l’architecture industrielle du Bitcoin qui comporte des risques de fiabilité et de résilience sur les plateformes d’échange.
Dans une troisième partie, nous faisons état de l’ordre financier international à l’ère des cryptomonnaies. Nous expliquons comment le Bitcoin et les autres cryptomonnaies ne risquent pas de représenter un défi au statut du dollar comme monnaie de réserve. Bien que le marché du Bitcoin soit large, il reste petit comparé aux marchés obligataires ou monétaires dominés par le dollar. Les actifs monétaires et obligataires étant dépendants des taux d’intérêts de la monnaie, cela rend les cryptos difficilement dissociables de la monnaie nationale, qui reste donc prédominante. Ajoutons aussi que la volatilité du Bitcoin est une autre raison quasi insurmontablepour son adoption large comme actif de réserve. Enfin, d’abandonner la suprématie du dollar au profit du Bitcoin ou d’une autre cryptomonnaie serait contre-productif pour les dirigeants des États-Unis d’Amérique. Nous abordons également comment le Bitcoin pourrait contrer une monnaie numérique des BRICS avec son modèle libéral en opposition au yuan numérique contrôlé par une banque centrale chinoise.
Les recommandations
S’il est avéré que les cryptomonnaies représentent une monnaie d’avenir il y a tout de même des risques à prendre en compte qui sont liés à son développement et cela dès maintenant. C’est ce que les recommandations faites dans ce rapport s’efforcent de faire.
- Une réglementation insuffisante ou inadéquate des cryptoactifs est considérée comme le principal facteur de risque. En effet, les cryptomonnaies sont aujourd’hui utilisées dans le cadre d’activités illicites de blanchiment d’argent, de financement de terrorisme ou de contournement de sanctions internationales qui échappent au contrôle des Etats. De plus, l’intégration et l’interconnexion croissante entre les cryptoactifs et le système financier traditionnel est un sujet de préoccupation. Au-delà d’un certain niveau d’exposition et sans réglementation suffisante, une crise dans le secteur des cryptoactifs se propagerait mécaniquement au système financier plus large, avec des conséquences profondes pour l’économie en générale (‘echo chamber’ effect). Il est donc essentiel d’instaurer un cadre réglementaire clair et efficace pour encadrer le développement des cryptomonnaies. Naturellement, les arbitrages avec la protection des données et de la confidentialité vis-à-vis des intérêts privés et même des agences publiques est un équilibre délicat à trouver. La SEC (le gendarme de la bourse) des États-Unis a clairement indiqué que le Bitcoin ne répondait pas aux critères d’une « valeur mobilière » (a “security”), selon ce que l’on appelle le test de Howey, un test juridique basé sur plusieurs critères, dont principalement l’attente de bénéfices provenant des efforts d’autrui. Le Bitcoin, étant entièrement décentralisé, ne répond pas à ce dernier critère. N’étant pas considéré comme une valeur mobilière (par différence avec une action d’entreprise ou un titre de dette), il est ipso-facto moins régulé et plus complexe à réguler. Notamment, l’identification et la responsabilisation d’une entité unique pour la réglementation est quasi-impossible car les transactions sont vérifiées par un réseau de participants (mineurs) répartis dans le monde entier, ce qui rend la coordination et l’application des règles complexes.
- Du côté des acteurs privés il est nécessaire qu’ils s’adaptent à une plus grande influence des cryptomonnaies dans l’économie mondiale. Ainsi, les agences de notation internationales pourraient accentuer la prise en compte dans leurs ratings l’exposition des banques d’un pays aux cryptoactifs, qu’il s’agisse d’investissements directs, de prêts à des entreprises du secteur ou de la collecte d’argents investis sur ETF (Exchange Traded Funds) composés de monnaie crypto.
- Les risques sociétaux et d’addictions spécifiques à ces actifs crypto doivent faire l’objet de prévention et d’aide à l’appréhension et compréhension des mécanismes psychologiques, comme le FOMO (Fear of Missing Out) et l’addiction aux gains rapides. Des politiques publiques de prévention de ces risques apparaissent essentielles.
- Le développement du Bitcoin ne doit pas se faire « en concurrence » du dollar. L’usage d’un actif financier à des fins géopolitiques pourrait compromettre très rapidement sa valeur, faute de valeur sous-jacente ou d’usage majoritaire pour le règlement des transactions commerciales internationales. La « scalabilité » du Bitcoin reste à cet égard un enjeu majeur, i.e. sa capacité à évoluer et la capacité de son réseau à gérer une augmentation de la demande et de la charge de travail sans dégradation des performances.
- Les projets politiques de Trump en matière de « business & finance Intelligence » requièrent des études plus approfondies sur le séquençage, le financement et le coût économique global. Notamment, le financement de larges réserves stratégiques en Bitcoin pourrait avoir un coût inflationniste important, particulièrement dans le contexte actuel. Bien que ce ne fut que rarement la cause unique, il est essentiel de rappeler que la plupart des grands empires d’antan ont chuté par suite d’excès de dettes et de créations monétaires, associés à de l’inflation et des dépréciations monétaires.