Guerre en UKRAINE : Quelles conséquences économiques ?
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Guerre en UKRAINE : Quelles conséquences économiques ?

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Suite à l’intervention militaire russe en Ukraine, une baisse significative du commerce mondial est attendue dans les semaines à venir, amplifiée par les sanctions américaines et européennes.

Au vu de la forte hausse des prix énergétiques liée au choc d’offre négatif, la probabilité d’une récession en zone euro augmente, plus fortement qu’aux Etats-Unis.

Dans ce contexte de risques macroéconomiques élevés, les politiques économiques doivent encore rester accommodantes, au moins pendant un certain temps. En zone euro, la suspension du Pacte de stabilité et de croissance pourrait être ainsi prolongée dans le temps.

En matière monétaire, la Banque centrale européenne (BCE) est prise dans le piège du choc d’offre énergétique qui pousse les prix et les quantités dans des directions opposées. Il pourrait être coûteux en termes de croissance d’arrêter les programmes d’achats d’actifs et de relever rapidement les taux d’intérêt.

L’invasion par les forces armées russes de l’Ukraine depuis le 24 février 2022 a causé un désastre humain et humanitaire, faisant déjà plusieurs milliers de morts et envoyant sur les routes des millions de réfugiés en exil. Même si les conséquences économiques de cette guerre sur le sol européen apparaissent à ce jour de second ordre, cet article cherche tout de même à identifier quelques possibles effets de court terme en se basant sur la littérature académique.

Une économie mondiale fragilisée par deux années de pandémie

Après deux années éreintantes d’un point de vue économique dues à la crise de la Covid-19, l’économie mondiale n’avait pas besoin d’un nouveau choc négatif. Certes, après avoir traversé une récession globale en 2020, l’activité économique mondiale a connu une période de forte reprise en 2021 (croissance du PIB réel mondial de -3,1% en 2020, puis de +5,9% en 2021). Toutefois, en termes de niveau, l’activité dans de nombreux pays est toujours en-dessous de son potentiel de croissance (ce qu’on qualifie d’output gap négatif). Même si le marché du travail a bénéficié d’une reprise soutenue, les économies restent marquées par les cicatrices de la crise sanitaire, notamment en ce qui concerne les inégalités de revenus et de richesse au sein des pays, ou la hausse de l’endettement, à la fois public et privé (la dette globale a atteint 256% du PIB mondial en 2020).

Un autre fait marquant relatif à cette pandémie est le décalage entre la forte demande de la part des ménages et l’offre qui n’arrive pas à suivre. Cette offre est notamment grevée par des ruptures dans les chaines d’approvisionnement mondiales et un manque de main d’œuvre (c’est la théorie dite de la « grande démission »). De plus, la forte demande a engendré une hausse des prix des matières premières, notamment énergétiques et industrielles. Par conséquent, les grandes économies avancées ont connu récemment une poussée inflationniste (7,9% aux Etats-Unis et 5,8% en zone euro en février 2022) dont il est toujours difficile de prédire la fin.

Les canaux de transmission de la crise

Dans ce contexte, quelles peuvent être les canaux de transmission de cette guerre en Europe au cycle économique mondial ?

D’abord les effets économiques sur l’Ukraine seront dramatiques en termes de perte de capital humain et physique et dépendront évidemment de la durée du conflit et des conditions de sa résolution, même si cela peut apparaître aujourd’hui secondaire devant les pertes de vies humaines.

Du côté russe, les pertes économiques seront également élevées, difficiles à chiffrer pour le moment car en grande partie reliées aux sanctions mises en place par leurs partenaires commerciaux et financiers, principalement les Etats-Unis, l’Europe et la Chine, et aux effets de substitution qui en suivront. Pour le moment, la dépréciation du rouble de plus de 40% et la remontée des taux d’intérêt à 20% par la banque centrale russe laissent envisager un scénario catastrophe même si la position financière extérieure de la Russie s’est améliorée depuis 2014. Certains économistes anticipent une baisse de 7% du PIB russe en 2022.   

S’agissant des marchés financiers internationaux, les cours des actions ont brusquement chuté depuis le début de l’invasion russe, même si la baisse avait commencé depuis le début d’année 2022. Par exemple le S&P 500 a chuté d’environ 13% depuis le 31 décembre 2021, mais cela n’efface pas les gains enregistrés depuis la crise Covid (l’indice a plus que doublé depuis le mois de mars 2020). L’indicateur VIX de la bourse de Chicago, qui mesure la volatilité sur les marchés financiers, est monté à des niveaux similaires à ceux observés lors des deuxième et troisième vagues de la pandémie, indiquant ainsi une forte nervosité chez les acteurs financiers. La littérature académique nous enseigne qu’une hausse de l’incertitude est généralement suivie d’une chute significative du niveau d’activité économique. 

Dans un tel contexte d’incertitude, le dollar américain a généralement tendance à s’apprécier contre l’euro ou la livre britannique, en tant que valeur refuge. C’est en effet ce qui s’est passé, le dollar s’échangeait à 1,09 pour 1 euro le 8 mars, contre des valeurs supérieures à 1,20 en début d’année dernière. Cette appréciation du dollar n’est évidemment pas favorable aux pays importateurs de matières premières libellées en dollars, tels que les pays de la zone euro, qui vont voir leurs prix à l’importation s’accroître. Selon les estimations de la BCE, une dépréciation de 10% du taux de change effectif de l’euro entraîne une hausse des prix à l’importation au sein de la zone de 3% au bout d’un an.    

En termes de commerce de biens, on s’attend à une baisse significative du commerce mondial dans les semaines à venir, amplifiée par les sanctions américaines et européennes. On observe déjà une baisse du commerce sur le mois de février 2022 de -5,6% par rapport à janvier, selon l’indicateur du Kiel Institute, un institut de conjoncture allemand. La baisse des exportations russes est clairement marquée (-11,8%), mais les exportations de l’Union Européenne et des Etats-Unis sont également orientées à la baisse (entre 3% et 4%). Même si la Russie n’est pas fortement intégrée dans les chaînes de valeur mondiales, on peut également s’attendre à une baisse des importations européennes en provenance de Russie, notamment s’agissant des matières premières énergétiques, industrielles et alimentaires.

Vers un choc pétrolier ?

Le canal de transmission le plus visible à ce jour passe par la hausse du prix de l’énergie, notamment du pétrole et du gaz. Les anticipations de rupture d’approvisionnement ont fait s’envoler les prix des matières premières énergétiques, qui étaient déjà à un niveau élevé dans cette période post-Covid. Le prix du pétrole Brent a ainsi dépassé ponctuellement le seuil des 120 dollars par baril et reste soumis à une forte volatilité. Dans ce cadre, la zone euro est la zone la plus exposée via sa dépendance vis-à-vis des exportations russes. En particulier, l’Allemagne dépend de la Russie pour environ un tiers de sa consommation énergétique totale et se retrouve donc fortement exposée au risque de choc énergétique.

La littérature économique met en évidence les effets macroéconomiques négatifs d’un choc sur le prix du pétrole, particulièrement aux Etats-Unis et en zone euro. Notamment, la répercussion d’une hausse du prix du pétrole se fait rapidement sentir sur les marges des entreprises et sur les dépenses de consommation des ménages. Par exemple en France, une hausse de 1% sur le prix du pétrole brut se traduit par une hausse de 0,3% du prix TTC du gazole à la pompe après une dizaine de jours. Toutefois, contrairement à une croyance bien établie, cet effet est symétrique, fonctionnant aussi bien à la hausse qu’à la baisse.

Les effets économiques globaux dépendent de la nature du choc à la source de la hausse des prix du pétrole. Aujourd’hui, étant donné l’invasion russe de l’Ukraine, on peut considérer que cette hausse est causée par un choc d’offre négatif dont les effets économiques sont connus pour être plus massifs que lorsque la hausse est causée par des chocs de demande. Ainsi, le point de comparaison optimal n’est pas l’année 2008, où le pétrole avait bondi principalement sous l’effet de la demande des pays émergents, Chine en particulier, mais plutôt les chocs pétroliers des années 1970 qui étaient des purs chocs d’offre négatifs (voir par exemple ce document de travail de la BCE pour une décomposition historique entre offre et demande des différents chocs). Le choc pétrolier de 1974-75 avait entraîné les pays avancés dans une récession économique de grande ampleur, estimée autour de 3,6 points de pourcentage du PIB de l’époque.

Si la zone euro reste soumise à ce risque de récession, en tant qu’importateur net de pétrole, cela est désormais un peu moins pertinent pour les Etats-Unis, du fait de leur exploitation massive du pétrole de schiste dans de nombreux états. Depuis 2020, les Etats-Unis sont ainsi devenus un exportateur net de produits pétroliers, pour la première fois depuis 1949.  Dans ce contexte, la baisse de dépenses de consommation des ménages liée au choc pétrolier devrait être compensée dans de mêmes proportions par une hausse de l’investissement des entreprises dans le secteur pétrolier, l’effet au final sur l’économie américaine étant quasiment nul. C’est ce qu’ont montré Christiane Baumeister et Lutz Kilian dans leurs travaux sur le contre-choc pétrolier de 2014-15, qui était aussi un pur choc d’offre, mais positif. 

Qu’en est-il des politiques économiques ?

Dans ce contexte d’incertitudes et de risques macroéconomiques élevés, les politiques économiques doivent encore rester accommodantes, au moins pendant un certain temps. Cela devrait être le cas des politiques budgétaires, notamment en zone euro ou la suspension du Pacte de stabilité et de croissance pourrait être prolongée jusqu’à fin 2023. Les économistes ont encore en mémoire les consolidations budgétaires entreprises trop tôt après la crise de la dette souveraine en zone euro, qui ont coûté plusieurs points de croissance aux pays européens.

S’agissant des politiques monétaires, la guerre en Ukraine pourrait quelque peu décaler dans le temps les hausses de taux d’intérêt envisagées par la Réserve Fédérale américaine dès 2022, comme cela est souvent le cas en période de crise internationale ; mais le faible impact attendu sur l’économie américaine ne devrait pas remettre en question le scénario de remontée des taux d’intérêt. En revanche, la tâche s’annonce plus délicate pour la BCE. La banque centrale est en effet prise dans le piège du choc d’offre énergétique qui pousse les prix et les quantités dans des directions opposées. Les banques centrales sont mal équipées pour répondre à ce type de choc généralement qualifié de « stagflationniste ». La littérature académique souligne qu’un resserrement monétaire pour contrer l’inflation à l’issue d’un choc sur les prix du pétrole a tendance à amplifier de manière substantielle les effets récessifs. Dans le contexte actuel, arrêter les programmes d’achats d’actifs et relever rapidement les taux d’intérêt pourrait être coûteux en termes de croissance en zone euro.