Paris 2024 : l’opportunité géoéconomique pour la France est unique
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Paris 2024 : l’opportunité géoéconomique pour la France est unique

"Ici, c’est plus que Paris" ou le sport est un objet géoéconomique

En 2024, les regards du monde entier vont se tourner vers Paris : la Ville Lumière accueille, pour la 3ème fois, les Jeux olympiques d’été. L’événement planétaire revient sur ses terres, là où Pierre de Coubertin a relancé l’esprit olympique. L’attente dépasse la nostalgie, l’actualité ou les questions mémorielles. 100 ans après la 8ème olympiade, les Jeux de Paris 2024 vont au-delà de la simple effervescence sportive. Ils portent en eux des enjeux économiques majeurs qui concernent plus d’acteurs que la ville organisatrice. L’occasion de rappeler le poids croissant de la géoéconomie du sport.

Un enjeu pour la France, un démultiplicateur d’opportunités

Paris 2024 est d’abord un enjeu pour la France et l’olympiade rayonnera bien au-delà du périphérique. De Marseille à Tahiti, de la Concorde jusqu’à Saint-Denis, du Stade de France jusqu’au plus lointain des Instituts Français, le souffle des Jeux va se faire sentir partout. Cette célébration mondiale du sport que sont les grands événements sportifs internationaux transcende les frontières intérieures, qu’elles soient mentales, sociales ou géographiques. Elle concerne toutes les dimensions et composantes du pays. Ses retombées et les espoirs qu’elle suscite s’étendent ainsi au-delà de l’arène sportive. Le sport est un « fait social total ». Paris 2024 le démontre pleinement.

Sport et géoéconomie, un couple indissociable

Jean-Pierre Augustin expliquait dès 2011 que « si la société est saisie par le sport, c’est parce que le sport est saisi par l’économie ». Le géographe français était en avance sur son temps. Sport et économie constituent un couple inséparable. Depuis les années 1980 et plus encore avec l’effondrement du modèle communiste, le sport a changé de dimension. Désormais, il constitue une des facettes essentielles des processus de mondialisation et de leurs évolutions. Joseph Nye a fait du sport une des composantes de la puissance douce américaine et un relais de son hégémonie. Les puissances de notre temps l’ont compris.

De nos jours, les Etats s’emparent du sport pour faire valoir leurs intérêts. Et la dimension économique n’est pas la moins importante. Pour le géographe français, « le tournant économique de la mondialisation du sport et son rôle d’amplificateur médiatique de cérémonies planétaires » sont précieux. La géoéconomie du sport permet d’exister dans la compétition internationale mais aussi de comprendre le fonctionnement de notre monde, ses dynamiques, les logiques des acteurs ou les enjeux qui les accompagnent. De manière simple, si vous voulez comprendre le monde, regardez la manière dont il joue. Si vous voulez comprendre l’économie mondiale, regardez le fonctionnement du sport international, ceux qui s’en servent ou qui y émergent. De l’Arabie Saoudite à l’Inde en passant par l’Indonésie, les exemples sont multiples.

Sport, économie et mondialisation forment un trio inséparable, un trio qu’il faut considérer dans toutes ses dimensions. A l’échelle mondiale, avec 2% du PIB global et une croissance portée par les marchés émergents, on estime à plus de 1200 milliards d’euros le secteur du sport. Si l’on y ajoute la part venant du e-sport et des perspectives de croissantes que seules les nouvelles technologies peuvent concurrencer, le sport est loin de l’image réductrice à laquelle on l’associe encore trop souvent. Selon la dernière enquête BPCE, le sport en France représente 2,6 % du PIB, pour un chiffre d’affaires en 2023 estimé à 71 milliards d’euros. Avec 128 000 entreprises de toutes tailles présentes sur l’ensemble de nos territoires, la filière au sens large représente près de 450 000 emplois1. Le sport est loin d’être négligeable du point de vue économique comme politique. Il est devenu stratégique.

L’importance de la géoéconomie du sport

Pour autant, la géoéconomie du sport reste sous-estimée et loin d’être appréciée à sa juste valeur. Par géoéconomie du sport2, on désigne l’usage fait par les Etats de l’économie du sport pour faire valoir et promouvoir leurs intérêts et signifier l’importance qu’ils y accordent. Le Maroc a fait par exemple de la géoéconomie du sport, un des axes de son développement territorial et de son attractivité. L’accueil de la CAN 2025 et la co-organisation de la Coupe du monde 2030 en font un accélérateur de son émergence. Certains spécialistes comme Moncef El Yazghi estiment la possibilité pour le Royaume chérifien de gagner une décennie de visibilité et de croissance grâce aux investissements infrastructurels consentis et aux retombées réputationnelles attendues.

La Coupe du monde de rugby 2023 a également montré la capacité du sport à peser économiquement. Selon le bilan du comité d’organisation, publié en novembre 2023, la compétition a généré 2,4 milliards d’euros de retombées économiques, dont 1,2 milliard pour le secteur touristique. Elle a créé ou maintenu 41 000 emplois sur le territoire français. Elle a aussi permis de renforcer l’attractivité et le rayonnement de la France avec plus de 2 millions de visiteurs étrangers accueillis pendant la compétition. En attendant de mesurer son apport pour le développement du rugby et sa visibilité médiatique, la Coupe du monde illustre ce que la géoéconomie du sport offre comme opportunités.

Face à ce « phénomène de civilisation si important qu’il ne devrait ni ignoré ni négligé par la classe dirigeante et les intellectuels »3,  la prise de conscience reste tardive. La place de l’économie du sport dans les médias reste marginale, souvent limitée à quelques titres comme le Financial Times, le Guardian, le Temps, les Échos ou les pages  économie du Figaro. Pourtant, les chiffres ne trompent pas. Ils témoignent du poids politique et économique du sport. L’ensemble des acteurs et des décideurs commencent à en prendre conscience. Même lentement.

Paris, capitale globale d’une humanité réunie malgré tout

Les grands événements sportifs internationaux sont un exemple parfait de l’importance de cette géoéconomie du sport. Ils surclassent tout autre événement global. Les Expositions Universelles ou le Forum Mondial ne parviennent pas à lutter en matière d’impact, de visibilité et de viralité. Les Jeux olympiques n’ont ainsi pas de concurrents… en dehors de la Coupe du monde de football. Ils sont plus impactants qu’une COP, qu’une Fashion week ou qu’un sommet des BRICS. Les grands événements sportifs internationaux (GESI) sont le visage d’une humanité réunie en un seul endroit, un endroit qui d’emblée prend des allures de capitale globale.

Et c’est l’une des forces de la géoéconomie du sport : rassembler le monde comme aucune expérience humaine à l’exception de la guerre et des pandémies. Même les Nations Unies n’ont pas cette capacité politique et symbolique à faire l’unanimité et à toucher le monde dans sa diversité. En termes économiques, une telle focalisation n’a pas de prix.

Les Jeux de Paris 2024, c’est bien plus que du sport

Paris 2024 va placer la France au centre du monde. Et l’humanité regardera la capitale comme jamais depuis les attentats, l’épisode des Gilets Jaunes ou les dernières émeutes. Une chose précieuse à l’heure où il faut reconstruire le marketing territorial de la capitale et moderniser son city branding. Et cela ne se limitera pas à Paris mais au pays entier. L’hypercentralité globale permise par les GESI est une opportunité géoéconomique rare.

Comme l’a souligné Simon Chadwick, « les Jeux Olympiques sont un phénomène unique qui va bien au-delà du terrain de jeu. Ils sont un véritable catalyseur géoéconomique. » En effet, si les retombées peuvent être politiques et géopolitiques, elles se font surtout sentir dans tous les pans de l’économie. Du développement des infrastructures à l’essor de la filière sportive, en passant par l’attractivité et le rayonnement international de la France, rien n’échappe à la dynamique géoéconomique du sport. Les GESI sont un véritable « coup de fouet économique ». C’est une politique d’offre à nulle autre pareil dont les effets sont autant matériels, réputationnels que symboliques. Ils sont parmi les rares événements à susciter un ruissellement réel dès lors que leur organisation et leur héritage sont pleinement et rationnellement pensés.

Dans la lignée de l’Euro 2016 ou de la Coupe du monde de rugby, les Jeux Olympiques de Paris 2024 constituent un levier de développement pour toute une filière. Une manifestation de cette ampleur expose ses start-ups. Elle fait de l’événement, une vitrine des savoir-faire de nos champions locaux. L’organisation des Jeux de Paris dynamise déjà la formation, l’encadrement et la pratique sportive. Elle renforcera la compétitivité de l’Hexagone sur la scène internationale dans le sport classique et dans l’e-sport. La Ministre des sport, Amélie Oudéa Castera, le souligne : « Les Jeux de Paris 2024 auront un impact considérable sur la filière sportive. Ils permettront de développer les talents et de renforcer la position de la France dans le panorama sportif mondial. »

Paris 2024, comme tous les GESI, contribue en effet à une déferlante économique qui va dynamiser l’économie nationale, bien au-delà de la seule filière sportive. Évidemment, il y a des coûts non négligeables d’organisation et des externalités négatives à considérer mais selon les estimations, l’impact économique de l’événement s’élèverait à près de 10 milliards d’euros. Plus de 15 millions de visiteurs sont attendus, dont une majorité d’étrangers. Les retombées économiques vont être conséquentes en ces temps troublés. Cette manne s’étend sur de multiples secteurs : du tourisme à l’hôtellerie, en passant par l’industrie du bâtiment, la sécurité, l’événementiel, les médias et tous les autres services connexes.

Pour l’économie locale et nationale, une telle manifestation est une bouffée d’oxygène, un stimulus d’ampleur. En termes de croissance, d’emplois, de structuration de la filière mais aussi d’expérience et de visibilité pour les acteurs économiques du pays, l’impact est conséquent. Simon Chadwick, là encore, l’explique fort bien : « les Jeux Olympiques sont une formidable opportunité pour une ville ou un pays de mettre en avant son potentiel économique et touristique. C’est une vitrine mondiale qui peut avoir des retombées durables si elle est bien gérée. » Londres 2012 en a autrefois profité. Doha avec la Coupe du monde a changé de statut. Los Angeles 2028 en fait une opportunité pour revitaliser la cité des Anges. Quant à Marrakech, Casablanca ou Rabat, elles s’y préparent déjà dans l’optique de la Coupe du monde 2030.

La géoéconomie du sport et des GESI permet des retombées réputationnelles uniques

De tels événements internationaux ont des coûts. Ils inquiètent évidemment. Personne n’a oublié les difficultés de Montréal 1976 ou d’Athènes 2004. Mais en définitive, ces méga-événements n’ont pas d’équivalent. Il est aujourd’hui impossible pour une puissance de prétendre mobiliser en sa faveur et à elle seule, l’attention mondiale. Le sport le permet. Il offre l’opportunité unique pour un Etat et une ville organisatrice de s’accaparer à son profit, le calendrier mondial et de proposer, au monde comme aux siens, un narratif favorable et rassembleur.

La géoéconomie du sport vient appuyer la puissance de l’Etat qui accueille. Elle profite à plein de la « puissance de l’imaginaire » que nourrit et suscite le sport. En termes de marketing territorial et de place branding, le sport propulse l’organisateur dans un moment qui n’existe que tous les quatre ans pour les Jeux d’été ou les Coupes du monde.

Le sport est un facteur d’attractivité unique pour les investisseurs, les touristes et les talents du monde entier. C’est pour cela que ses plus grandes manifestations sont plébiscitées. Elles accompagnent un narratif national positif et festif qui reste dans les mémoires, un storytelling qui touche bien au-delà des seuls amateurs. Dans un monde toujours plus concurrentiel et fragmenté, l’opportunité géoéconomique qu’offre le sport est unique. L’Allemagne le montre avec l’accueil de l’Euro 2024 et la possibilité d’une candidature olympique en 2036, tout comme l’Inde de Narendra Modi. L’Arabie Saoudite avec les Jeux Asiatiques ou l’accueil de la Coupe du monde 2034 ne s’en prive pas.

Que des géants mondiaux s’y investissent autant soulignent le poids stratégique de la géoéconomie du sport et son importance. Le sport ne change pas la vie des pays mais il est un élément essentiel de la concurrence internationale. Ne pas considérer sa géoéconomie, c’est se priver d’une occasion de se distinguer.


  1. Ce chiffre s’obtient si l’on cumule les emplois générés par les entreprises du sport (330 000) et le secteur associatif (115 000) selon l’enquête BPCE réalisée en 2020 avant la pandémie de Covid. ↩︎
  2. Simon Chadwick appelle cela “l’économie géopolitique du sport”. ↩︎
  3. Pier Paolo Pasolini, Les Terrains : écrits sur le sport, traduit de l’italien par Flaviano Pisanelli, Paris, Le Temps des cerises, 2012. Citation reprise de propos de PP Pasolini, décédé en 1975. ↩︎