EYES : Quelles sont les préoccupations politiques des jeunes Brésiliens ?
EMERGY - Jeunesses, travail, sport

EYES : Quelles sont les préoccupations politiques des jeunes Brésiliens ?

Recommandations

Points clés concernant les perceptions des jeunes Brésiliens (18-24 ans)

  • Les thématiques médias/presse et réseaux sociaux sont les deux qui ont suscité le plus de réactions chez les jeunes Brésiliens.
  • Leurs sentiments sont particulièrement négatifs à l’encontre des médias traditionnels et les réseaux sociaux apparaissent sous une lumière à peine plus favorable. Conséquence, la jeunesse brésilienne s’intéresse de près à l’évolution des règlementations relatives aux réseaux.
  • Les discussions autour des questions de liberté et de sécurité les intéressent particulièrement. Le croisement de ces deux termes représente près de 15% de l’ensemble des tweets parlant de sécurité.
  • Les réactions face à l’intelligence artificielle et au monde de l’entreprise sont franchement négatives.
  • Ils ne mentionnent quasiment pas les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon).

Cette note rassemble et approfondit les données brésiliennes du rapport EYES 2021 (Emergy Youth Early Signs) sur les préoccupations émergentes des 18-24 ans de cinq nationalités : brésilienne, chinoise, étasunienne, française et sud-africaine.

Pour mémoire, le rapport EYES 2021 publié en février 2022 analyse les perceptions des 18-24 ans issus des cinq pays d’implantation de SKEMA Business School, sur cinq sujets politiques priorisés lors des entretiens de début d’étude : les médias traditionnels et la presse, les réseaux sociaux, la sécurité, les nouvelles technologies et le monde du travail. Le rapport s’est notamment nourri d’entretiens qualitatifs menés auprès de 36 étudiants de SKEMA Business School (dont deux Brésiliens) ainsi que d’une veille exercée sur le réseau social Twitter entre juillet 2020 et juin 2021. La méthodologie complète du projet est à retrouver en annexe du rapport EYES 2021.

De jeunes Brésiliens très actifs sur Twitter

Twitter est un réseau social particulièrement populaire auprès des Brésiliens, qui constituent la 5ème population mondiale en nombre d’utilisateurs, avec 17 250 000 utilisateurs en avril 2021 selon Statista. Les jeunes Brésiliens sont particulièrement bien représentés sur le réseau social. Des cinq nationalités de l’étude EYES 2021 (brésilienne, étasunienne, chinoise, française, sud-africaine), c’est la première en termes de participation des 18-24 ans dans la conversation nationale. Un utilisateur brésilien sur cinq ayant tweeté, toutes thématiques confondues, appartient à ce groupe d’âge.

Part des 18-24 ans dans la conversation nationale, par thématique. Lecture : les jeunes représentent 22,7 % de l’ensemble des utilisateurs ayant tweeté au sujet des réseaux sociaux. Source : Antidox.

Perceptions positives et négatives

L’analyse de sentiments n’est pas encore complètement stabilisée méthodologiquement. Il nous a cependant paru intéressant de mentionner ceux relevés chez les jeunes sujets de l’étude, surtout quand ils confirment les expressions des tweets. Concernant les cinq thématiques, ce sont ainsi les médias traditionnels et l’intelligence artificielle qui soulèvent le plus de méfiance chez les jeunes Brésiliens.

Pour une meilleure lisibilité, le graphique ne montre pas les tweets jugés comme neutre (pourcentage restant pour arriver à 100, une fois les sentiments positif et négatif soustraits). Se référer à l’annexe méthodologique pour plus d’informations. Source : Antidox.

Les jeunes Brésiliens & l’information : défiance envers les médias traditionnels mais aussi les réseaux sociaux

Les thématiques médias/presse et réseaux sociaux sont les deux thématiques qui ont suscité le plus de réactions chez les jeunes Brésiliens, tant en nombre de tweets publiés qu’en nombre d’auteurs de tweets.

Les sentiments des 18-24 ans sont particulièrement négatifs à l’encontre des médias traditionnels. Plus de la moitié des tweets contenant les termes « médias » et « informations » sont à connotation négative. Durant la période d’étude, le président Jair Bolsonaro a entretenu des relations difficiles avec les médias traditionnels et dénoncé leur partialité. Conséquence ou non de cet état de fait, nous retrouvons ainsi au Brésil une nette tendance au dénigrement des sources d’information traditionnelles parmi les jeunesses. Plusieurs des hashtags les plus populaires de la thématique font d’ailleurs référence au président avec #BolsonaroTemRazao (Bolsonaro a raison, 6e), #BolsonaroOrgulhoDoBrasil (Bolsonaro fierté du Brésil, 8e) et #BolsonaroAte2026 (Bolsonaro jusqu’en 2026, 10e). La défiance envers les médias traditionnels va jusqu’à attaquer singulièrement les médias de référence.  #GloboLixo (Globo ordures) est le 5e hashtag le plus populaire de la thématique média avec 3 600 résultats. Le groupe Globo est le plus important conglomérat d’entreprises médiatiques du Brésil et de l’Amérique latine.

Les réseaux sociaux apparaissent sous une lumière à peine plus favorable, puisque près de 42 % des tweets contenant les termes « réseaux sociaux » et « informations » demeurent négatifs. L’expression « fake news » est largement employée au sein des deux thématiques. Relative aux médias/presse et aux réseaux sociaux, elle est la deuxième expression la plus récurrente sur notre sélection de mots clés (voir l’annexe du rapport EYES 2021). Conscients du danger véhiculé par les fake news, les jeunes Brésiliens ne semblent pourtant pas favorables à un plus grand contrôle des publications. En signe de contestation face à la censure, le mouvement #SilenceDay, 8e hashtag de la thématique réseaux sociaux, appelle les internautes à s’abstenir de poster sur les réseaux durant 24h.

La jeunesse brésilienne s’intéresse ainsi de près à l’évolution des règlementations relatives aux réseaux. Le projet de loi sur la liberté, la responsabilité et la transparence sur Internet est largement débattu et se matérialise par le hashtag #PL2630Nao (non au projet de loi 2630). 6e hashtag le plus utilisé de la thématique, il comptabilise 1 400 tweets. À l’époque en lecture au Parlement, ce projet qui visait à limiter la désinformation était largement critiqué, perçu comme portant atteinte à la liberté d’expression par les ONG (par exemple Amnesty International et Human Rights Watch), mais aussi par les géants des réseaux sociaux eux-mêmes et les milieux gouvernementaux. Cependant, le croisement des termes « État/gouvernement » et « réseaux sociaux » n’engendre que 29 000 tweets soit 1,8% de la thématique. En comparaison, l’association « État/gouvernement » et « médias/presse » se retrouve dans 181 300 tweets, soit 6,3 % de la thématique.

Réseaux sociaux & bien-être : quel équilibre à trouver ?

Un étudiant brésilien interrogé lors des entretiens qualitatifs de début d’étude évoquait la pression psychologique que les jeunes peuvent subir à cause des réseaux sociaux. Selon lui, l’injonction du paraître, imposée sur les réseaux était source de mal-être. Il y voyait également une promotion de la « richesse » comme objectif de vie. Il expliquait que l’obsession de l’argent chez les plus jeunes était exacerbée par les influenceurs qui « glamourisent » volontairement leur quotidien pour toujours plus de commentaires, clicks, likes et partages. Selon les deux étudiants brésiliens interrogés, les frontières se brouillent entre vie virtuelle et vie réelle : l’identité virtuelle semble prendre davantage d’importance. Ils s’interrogeaient sur la manière de sortir de ce culte du paraître et de la superficialité. Aussi, ils questionnaient le rôle des réseaux sociaux sur le développement des adolescents : sont-ils finalement instigateurs des très bas niveaux de confiance en soi dont souffrent certains jeunes et qui peuvent mener à des dépressions graves ?

Impact de la Covid-19 sur la sécurité sanitaire de la jeunesse

Aux premières heures de la pandémie, la sécurité sanitaire inonde les expressions sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, la conversation apparait dans le cadre de contestations face à la gestion de la crise par le gouvernement : #Covid-19 et #29MForaBolsonaro (en référence à la manifestation nationale du 29 mai 2021) sont les 8e et 10e hashtags les plus associés à la notion de sécurité. Les 18-24 ans se sont particulièrement mobilisés sur la question du maintien des examens du baccalauréat dans un contexte d’insécurité sanitaire, avec #AdiaENEM (reporte le bac). C’est le 2e hashtag de la thématique.

Sécurité physique

Au sein des groupes de travail des étudiants de SKEMA, la question de la sécurité physique était mentionnée particulièrement par les Brésiliens. Sur Twitter, les violences faites aux femmes sont un sujet qui préoccupe. #justicapormariferrer, en référence à une jeune femme victime de viol constitue le 6e hashtag le plus employé en lien avec la sécurité.

Il est intéressant de mentionner la portée qu’a eue le mouvement Black Lives Matter au Brésil. Ravivé en mai 2020 au lendemain du meurtre de George Floyd à Minneapolis, #BlackLivesMatter est classé parmi les hashtags de tête de la thématique aux États-Unis et devient le premier de la thématique sécuritaire au Brésil entre mai et juin 2020, avec près de 25 000 résultats. Sa traduction portugaise #VidemNegrasImportan recense alors 10 000 occurrences. Toute mention disparaît ensuite des classements sur notre période d’écoute (1er juillet 2020 – 31 juin 2021).

Lors des entretiens qualitatifs, les étudiants brésiliens de SKEMA interrogeaient le rôle de l’État dans la résolution des questions sécuritaires. Ils invitaient notamment les décideurs politiques à en identifier les racines pour mieux adapter leurs réponses : la police est-elle la réponse à apporter aux problématiques sécuritaires ? Ou bien est-ce l’éducation ?

Sécurité politique

L’usage controversé de la loi sur la sécurité nationale par le gouvernement fait également beaucoup de bruit sur les réseaux. En effet, en mars 2021, le gouvernement brésilien invoquait cette loi pour faire arrêter le youtubeur Felipe Neto après qu’il eut qualifié le président brésilien de « génocidaire ». Plusieurs hashtags sont associés à ces conversations : #BolsonaroGenocida (Bolsonaro génocide, 5e position), #ForaBolsonaro (dehors Bolsonaro, 7e), #DitaduraNuncaMais (dictature plus jamais, 14e), #TodosContraFelipeNeto (tous contre Felipe Neto, 17e) et #ForaBolsonaroGenocida (33e).

Les discussions autour des questions de liberté et de sécurité intéressent particulièrement la jeunesse brésilienne. Le croisement de ces deux termes représente 161 500 tweets, soit près de 15 % de l’ensemble des tweets parlant de sécurité. En comparaison, les conversations autour de l’État et du gouvernement représentent à peine 6 % de la thématique.

Enfin, la sécurité des procédures de vote apparait en 9e hashtag de la thématique avec #VotoImpressoAuditavelJa (votes imprimés vérifiables maintenant), les débats autour des supposés défauts de fiabilité des machines à voter électroniques ayant été ravivés en 2021.

La sécurité dans un monde connecté

Lors des entretiens de cadrage de l’étude, les étudiants Brésiliens s’interrogeaient sur la capacité des sociétés à développer leur compréhension de la cybersécurité à la même vitesse que celle des avancées technologiques. Ils pointaient notamment les milliards de dollars que perdent chaque année leur pays par la cybercriminalité. En effet, ce fléau touche particulièrement le Brésil qui occupe la 2e place au classement mondial des plus importantes pertes financières liées à la cybercriminalité, avec 26 milliards de dollars en 2019 (étude Comparitech).

A contrario, les étudiants questionnaient tout autant l’impact des régulations étatiques centralisées sur les activités en ligne. Des dispositifs tels que le Great Firewall en Chine permettent-ils aux internautes de se sentir réellement plus en sécurité ? Les questionnements sur l’équilibre liberté et sécurité ressurgissaient ici aussi.

Les jeunes Brésiliens défiants face à l’intelligence artificielle

Les jeunes Brésiliens s’expriment relativement peu sur l’intelligence artificielle qui rassemble autour de 32 000 tweets (entre septembre 2020 et octobre 2021), loin du 1,1 million sur la sécurité, 1,6 million sur les réseaux sociaux et 2,8 millions sur les médias et la presse. Les réactions face à l’IA sont franchement négatives et ce plus que pour n’importe quelle des quatre autres nationalités de l’étude. 52,2 % des tweets contenant l’expression « intelligence artificielle » sont négatifs contre 20,3 % de tweets positifs.

Les GAFA, absents des conversations en ligne

Les GAFA apparaissent comme un sujet de conversation marginal chez les jeunes Brésiliens. Autour d’un millier de tweets les mentionnant sont remontés (entre septembre 2020 et octobre 2021). Les sentiments autour des géants du numérique sont mitigés, avec autant de tweets à connotation négative qu’à connotation positive. Aucune grande tendance ne semble ressortir sur cette thématique.

Une vision plutôt négative de l’entreprise

Le monde du travail est également moins mentionné par les jeunes Brésiliens avec seulement 2 200 tweets publiés par 225 jeunes. Toutefois, il ressort des expressions une défiance claire vis-à-vis de l’entreprise avec plus de la moitié des tweets contenant le mot « entreprise » à connotation négative pour seulement 12 % de tweets positifs. Cette tendance se retrouve auprès des jeunesses de France, des États-Unis et d’Afrique du Sud. Nous en proposons une analyse dans la note « Jeunesse et travail : défiance vis-à-vis de l’entreprise et demande politique ».