Être ou devenir entrepreneur
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Être ou devenir entrepreneur

L’enseignement de l’entrepreneuriat et le modèle parental pour les entrepreneurs

Recommandations

Après avoir interrogé 76 entrepreneurs français, nous avons constaté que contrairement à ce que l’on croit souvent, une exposition intense à des connaissances entrepreneuriales n’accroît pas nécessairement la confiance de l’entrepreneur en sa capacité à créer avec succès une entreprise. De la même manière, il n’existe pas d’éléments tangibles démontrant l’impact de l’éducation et la formation à l’entrepreneuriat (EFE) sur la confiance en soi des entrepreneurs à long terme.

Nous avons cependant constaté qu’un environnement parental entrepreneurial joue un rôle central pour développer la confiance des entrepreneurs en leurs capacités. Les personnes qui ont bénéficié d’un modèle parental entrepreneurial tirent largement profit des programmes EFE intensifs, et voient leur degré de confiance augmenter. À l’inverse, les personnes sans modèle parental entrepreneurial voient leur degré de confiance se détériorer de manière significative lorsqu’ils sont exposés à des programmes EFE intensifs.

Partant de ces observations, nous recommandons que l’éducation et la formation à l’entrepreneuriat :

  • recrée ou simule dans un contexte pédagogique les conditions d’un environnement (parental) entrepreneurial favorable grâce des figures modèles qui permettront aux élèves d’éprouver, d’observer et de commencer à faire l’expérience de la vie d’un entrepreneur ;
  • inclut des interactions répétées, en mode intensif et en toute confiance avec des formateurs inspirants, à la fois entrepreneurs et académiques ;
  • ait lieu dans des salles de cours situées dans des incubateurs ou des espaces de coworking où les élèves pourront côtoyer de « vrais » entrepreneurs lors des pauses ou après les cours.

Peut-on apprendre à devenir entrepreneur ?

Largement débattue dans la littérature sur l’EFE, cette question demeure sans réponse. On considère généralement qu’une formation à l’entrepreneuriat crée un sentiment de confiance ou de croyance en ses capacités à atteindre le succès entrepreneurial. C’est ce que le monde académique appelle « l’auto-efficacité » (traduction de l’anglais self-efficacy), un facteur clé de l’intention, de l’action et de la réussite entrepreneuriales. Cependant, nos observations empiriques sur les résultats d’une formation à l’entrepreneuriat ne semblent ni prouver ni réfuter cette hypothèse. Les formations à l’entrepreneuriat sont-elles réellement efficaces ? Et si oui, de quelle manière ?

À l’heure actuellement, très peu d’études se sont penchées sur l’impact de l’EFE dans le contexte d’entrepreneurs ayant réellement créé leur entreprise. Pour mieux comprendre comment l’EFE affecte l’auto-efficacité des entrepreneurs et quel est le degré d’exposition nécessaire à une formation en entrepreneuriat pour en tirer de réels bénéfices, nombreux sont ceux qui recommandent de prendre en compte l’expérience entrepreneuriale en tant que facteur modérateur dans le développement de l’auto-efficacité. Les chercheurs comme les professionnels reconnaissent de manière unanime l’effet positif d’une expérience acquise soit par l’intégration dans un écosystème entrepreneurial, soit par l’observation de modèles familiaux/personnels.

La littérature existante sur l’EFE souligne que la formation à l’entrepreneuriat offre le contenu informationnel requis par les nouveaux entrepreneurs pour acquérir une confiance et une croyance suffisantes en leurs capacités à se lancer dans l’entrepreneuriat. En revanche se pose la question des effets sur le long terme de l’EFE.

Dans le cadre de ce débat sur l’EFE, nous avons interrogé 76 entrepreneurs français pour déterminer si, et dans quelle mesure, l’EFE est efficace pour apporter aux entrepreneurs la confiance en la réussite de leur projet. Nous avons décidé de modérer nos résultats en prenant en compte l’expérience acquise dans un environnement parental entrepreneurial.

Retours du terrain auprès d’entrepreneurs en exercice

Nous avons interrogé un échantillon de 76 entrepreneurs français qui ont créé une entreprise au cours des cinq dernières années. Nous avons mesuré leur auto-efficacité entrepreneuriale en fonction de trois axes : leur capacité à reconnaître des opportunités commerciales, leurs compétences et connaissances entrepreneuriales, et leur confiance en eux en tant qu’entrepreneur.

Tout d’abord, nous avons constaté que le nombre de formations en entrepreneuriat auxquelles participent les entrepreneurs ne génère pas davantage d’auto-efficacité une fois l’entreprise créée. Nos résultats n’ont démontré aucune différence significative d’auto-efficacité entre les personnes qui s’investissent délibérément dans plusieurs programmes d’EFE et celles qui suivent simplement quelques modules de formation sur l’entrepreneuriat.

Du point de vue de l’enseignement lui-même, notre étude n’apporte aucune preuve significative démontrant qu’à l’issue des programmes EFE, les élèves parviennent à transposer les connaissances, compétences et techniques entrepreneuriales acquises dans leurs pratiques et activités d’entrepreneur. De la même manière, aucune conclusion définitive ne peut être tirée concernant l’impact de l’EFE sur l’auto-efficacité des entrepreneurs.

Cependant, nos résultats offrent des conclusions plus intéressantes lorsqu’on les analyse dans le contexte d’un environnement familial entrepreneurial ou non entrepreneurial.

D’une part, nous constatons que lorsqu’une personne a grandi dans un environnement parental entrepreneurial, plus l’EFE est intensive et plus l’entrepreneur formé se sent auto-efficace. Cette découverte donne un rôle central au capital culturel, à l’apprentissage informel de l’entrepreneuriat et aux valeurs et expériences entrepreneuriales acquises par procuration dans l’environnement familial. En observant les modèles parentaux, une personne peut développer une capacité d’absorption permettant d’acquérir des compétences et un certain niveau de confiance lors de programmes EFE, qui en retour améliorent l’auto-efficacité entrepreneuriale.

À l’inverse, lorsqu’un entrepreneur n’a pas bénéficié de modèle parental entrepreneurial, plus l’EFE est intensive et moins l’entrepreneur formé se sent auto-efficace. Pour ces personnes, une exposition préalable à plusieurs programmes EFE combinée à leur expérience entrepreneuriale actuelle conduit à une détérioration substantielle de leur auto-efficacité. De manière surprenante, l’exposition intense à une formation entrepreneuriale ne leur a pas permis d’acquérir une meilleure conscience des difficultés et des contraintes d’un projet entrepreneurial. En raison de cette absence d’environnement parental entrepreneurial, elles n’ont pas bénéficié du capital culturel, de l’apprentissage informel de l’entrepreneuriat et des valeurs entrepreneuriales nécessaires dont elles auraient eu besoin pour bénéficier pleinement des connaissances enseignées dans les programmes EFE. Elles n’ont donc pas pu transformer ces connaissances en perception d’auto-efficacité. Ces entrepreneurs formés n’ont pas conscience des difficultés et des défis inhérents à tout projet entrepreneurial, contrairement à ceux qui ont grandi dans un environnement parental entrepreneurial.

Les entrepreneurs qui ont grandi dans un environnement parental entrepreneurial tirent un bénéfice positif des programmes EFE intensifs

Les entrepreneurs qui ont grandi dans un environnement parental entrepreneurial tirent un bénéfice positif des programmes EFE intensifs

Implications pour l’enseignement de l’entrepreneuriat

Notre étude contribue aux grands débats actuels qui mobilisent à la fois les chercheurs et les professionnels autour de ces questions essentielles : peut-on apprendre à devenir entrepreneur ? Et si l’EFE fonctionne, de quelle manière ?

Nos résultats offrent une orientation sur la manière de concevoir efficacement des programmes EFE favorisant l’auto-efficacité des entrepreneurs en devenir et de ceux ayant effectivement créé leur entreprise. Compte tenu du rôle central de l’environnement parental entrepreneurial dans le développement de l’auto-efficacité, ils suggèrent qu’au-delà de l’enseignement académique traditionnel de l’entrepreneuriat, les programmes EFE doivent permettre aux élèves de faire l’expérience de l’entrepreneuriat grâce à des figures modèles. Plus spécifiquement, cette approche basée sur les modèles devra aller au-delà des simples témoignages et intégrer des interactions répétées, en mode intensif, et en toute confiance avec des formateurs inspirants, à la fois entrepreneurs et académiques (peut-être même faut-il envisager un enseignement à deux voix ?) afin de créer ou simuler les conditions d’un environnement (parental) entrepreneurial favorable. Les locaux dédiés à l’enseignement de l’entrepreneuriat doivent permettre aux élèves d’éprouver, d’observer et en réalité de commencer à faire l’expérience de la vie d’un entrepreneur. Les salles de cours pourront être situées dans des incubateurs ou des espaces de coworking où les élèves auront l’occasion de croiser de « vrais » entrepreneurs lors des pauses ou après les cours.

En simulant un modèle quasi-parental dans les programmes EFE, les institutions académiques peuvent contextualiser dans leurs salles de cours l’impact positif de l’EFE sur l’aventure entrepreneuriale.