Cette contribution est le fruit d’une réflexion collective menée par un groupe d’experts de l’Executive MSc Sustainable Finance and Fintech (Dubai Campus) et de professeurs de SKEMA Business School. Dhafer Saïdane, contributeur de SKEMA Publika sur le thème de la finance durable, a coordonné la rédaction de cette note.
C’est dans un monde qui se polarise entre capitalisme dérégulé et dogmatisme écologique que SKEMA Publika entend proposer une troisième voie : une transition vers une finance durable réaliste et pragmatique, au service d’une croissance compatible avec la durabilité. Ce travail s’inscrit dans cette ambition.
Introduction
Comme l’illustre cette citation tirée d’un article paru dans The Nation en décembre 2023, une idée reçue voudrait que les pays du Golfe s’adonnent au greenwashing, ou éco-blanchiment. Or, l’objectif de cette note est de problématiser cette idée en démontrant que l’action climatique des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) ne relève pas du greenwashing. Cette affirmation repose sur une analyse étayée par des observations de terrain, qui mettent en évidence l’urgence de la transition climatique dans ces pays. À travers cette note, nous souhaitons également déconstruire certains stéréotypes et limiter les biais ethnocentriques qui peuvent freiner l’efficacité de la coopération internationale.
Le CCG regroupe six pays de la région : l’Arabie saoudite, le Koweït, Bahreïn, Oman, le Qatar et les Émirats arabes unis (EAU). Leurs économies sont relativement récentes par rapport à leurs homologues des économies avancées (le plus souvent occidentales), mais elles doivent néanmoins se conformer à des normes environnementales élaborées par des pays industrialisés de longue date. Organisation inter-gouvernementale fondée en 1981, le Conseil de coopération du Golfe accompagne l’industrialisation rapide de la région. Inspiré, pour partie, par certaines expériences d’intégration régionale, il ne compte qu’une quarantaine d’années d’existence, alors que les économies européennes et nord-américaines ont disposé de deux siècles pour s’industrialiser et évoluer. L’objectif du CCG est de favoriser l’industrialisation des pays du Golfe tout en alignant les trajectoires nationales sur les standards environnementaux d’aujourd’hui.
En réalité, la contribution globale du Golfe aux émissions mondiales demeure de l’ordre de 2 à 3 % des émissions mondiales de CO2, contre environ 7 % pour l’Union européenne. L’Arabie saoudite, premier émetteur de la région, représente environ 1,6 % des émissions mondiales de CO2 liées aux combustibles fossiles. Malgré cette part, le Golfe accélère la redéfinition de son modèle économique et environnemental à un rythme soutenu.
Par ailleurs, ce qui rend la trajectoire du Golfe particulière, c’est la vitesse de sa transformation. Des pays comme les Émirats arabes unis sont passés du statut de modestes pôles commerciaux à celui d’acteurs économiques mondiaux en à peine cinquante ans. L’aéroport international de Dubaï figure aujourd’hui parmi les plus fréquentés au monde et contribue largement au PIB de l’émirat. Ce développement rapide engendre un double impératif : consolider des économies plus résilientes et diversifiées tout en les adaptant d’urgence à la transition climatique et au développement durable, un double défi sans équivalent par son ampleur et ses délais. À la différence des pays du Golfe, aujourd’hui contraints de concilier industrialisation et développement durable, les économies développées se sont d’abord industrialisées, avant de se confronter, bien plus tard, aux enjeux de la transition climatique et de la durabilité de leur modèle.
Ainsi, plusieurs interrogations se posent :
L’image d’un Moyen-Orient pollueur est-elle en phase avec la réalité ? Comment les pays de cette région parviennent-ils à concilier croissance économique et développement durable ?
Dans une première partie, nous verrons que l’adaptation à la transition climatique relève d’une question de survie pour ces pays. Dans un second temps, nous mettrons en évidence que les États du CCG ont su mieux appréhender la transition énergétique que l’Europe. La troisième partie soulignera le rôle déterminant de l’abondance de capitaux dans la réussite de cette transition. Puis, dans une quatrième partie, nous dresserons le constat d’une réglementation ESG (environnemental, social et de gouvernance) en plein essor. Enfin, la dernière partie, proposera plusieurs pistes de recommandation pour l’avenir.