Introduction
« Comme avant la pandémie, les soins urgents sont redevenus le réceptacle de la plupart des débordements du système de santé. Dernier dispositif de recours, les structures d’urgence sont elles-mêmes mises en difficulté car sollicitées, outre les cas de réelle urgence, par les patients qui ne parviennent pas à obtenir de rendez-vous rapidement chez un médecin ou par des patients atteints de maladies chroniques non suivis par un médecin-traitant . »
Ces propos sont issus du rapport « L’accueil et le traitement des urgences à l’hôpital » publié par la Cour des comptes en novembre 2024. Le constat est glaçant, il y est décrit un système de santé à bout de souffle à cause de services saturés qui rencontrent une difficulté à gérer une demande toujours plus importante. Pour sortir l’hôpital public de cette impasse, le rapport de la Cour des comptes souligne une révision indispensable du parcours des patients avant leur prise en charge par les urgences. En effet, les services accueillant les patients pris en charge pour soins non programmés sont des systèmes complexes confrontés à une demande imprévisible et à des ressources limitées, entraînant souvent de l’attente. Ces situations entraînent des conséquences directes sur la qualité des soins, la sécurité des patients et l’efficacité opérationnelle.
Ce policy paper SKEMA Publika s’appuie sur les travaux de Benjamin Legros pour montrer comment les outils et les modèles mathématiques peuvent être utilisés pour analyser, comprendre et optimiser la gestion des files d’attente dans les services d’urgence, en tenant compte de facteurs humains et organisationnels. Il explore l’application des théories des files d’attente et d’autres approches mathématiques pour aborder les défis des services d’urgence, en modélisant les processus d’arrivée de patients, analysant l’aversion aux risques, proposant des solutions de priorisation des patients, et en mettant l’accent sur la formation du personnel et le rôle des centres d’appels.
Le sujet traité dans ce policy paper est d’actualité au vu des difficultés budgétaires auxquelles l’Etat français et plus particulièrement l’hôpital public doivent faire face. Les statistiques de l’INSEE montrent qu’en 2022 la Sécurité sociale finance à hauteur de 80 % les dépenses de santé des Français . Cela correspond à 11,9% du PIB qui est consacré aux soins de santé . Ainsi, la santé est une des principales dépenses de l’Etat et en plus elle pèse sur le déficit public. Selon les estimations, en 2024 le déficit des hôpitaux était de 3,4 milliards d’euros selon la Fédération hospitalière de France . Ce policy paper s’inscrit aussi dans un contexte politique où le gouvernement cherche à réduire la dette à 3 305,3 milliards d’euros (2024). Ce dernier prépare un plan de redressement budgétaire visant 40 milliards d’euros d’économies d’ici 2026. Cette analyse se veut source d’inspiration dans cet effort de réduction des dépenses en apportant des solutions concrètes en termes de politiques publiques pour sortir de l’impasse de la congestion dans les urgences et de fil en aiguille contribuer à améliorer le système de santé français. Notamment, en allant à l’encontre de l’idée selon laquelle pour pallier le problème de la congestion, il est uniquement nécessaire d’allouer plus de ressources matérielles, financières et humaines. Au contraire, nous présentons une vision alternative selon laquelle il est moins coûteux de repenser le routage des tâches et le rôle des agents, d’où l’utilité d’associer les modèles mathématiques et les nouvelles technologies du numérique à cette réflexion. Ainsi, la problématique que nous posons est la suivante :
• Dans un contexte budgétaire difficile comment optimiser la gestion du flux des patients dans les urgences ?
Dans une première partie nous allons explorer les fondements théoriques des files d’attente dans les services d’urgence. Dans une deuxième partie nous verrons en quoi la théorie des jeux peut aider à comprendre le comportement des patients. Dans une troisième partie nous soulignerons l’enjeu critique de la priorisation des patients. Dans une quatrième partie nous analyserons en quoi la formation du personnel peut jouer un rôle dans l’optimisation des flux. Dans une cinquième partie nous verrons comment les centres d’appels pourraient contribuer à mieux gérer le flux des patients aux urgences. Enfin dans une sixième partie nous poserons les défis et perspectives qui découlent du routage des tâches dans les services d’urgences. En outre, précisons que dans cette étude, des comparaisons seront aussi faites avec les systèmes d’urgence d’autres pays afin de s’inspirer des politiques publiques mises en place et de produire des recommandations concrètes visant à améliorer l’accès aux soins dans les urgences en France.
Les recommendations
- Par l’utilisation des nouvelles technologies du numérique :
- Favoriser la coopération homme-machine en utilisant l’IA pour un pré-triage automatique qui oriente les patients en amont, lisse le flux et améliore la précision des estimations et réduit ainsi l’impact de l’aversion aux risques.
- Etendre la pratique de la télémédecine et des solutions numériques dans le domaine de la santé par la mise en place de bornes d’enregistrement et de payement.
- Utiliser des jumeaux numériques pour tester les changements d’organisation et de stratégie de manière dynamique et voir l’impact hypothétique sur les performances de l’hôpital.
- Par la formation du personnel hospitalier :
- Augmenter la polyvalence et l’efficacité du personnel soignant et non-soignant en formant ces derniers dans leur capacité d’optimiser le temps de séjour et la fluidité des patients.
- Développer un système de formation en continue sur les compétences médicales d’urgence afin d’épauler le personnel soignant en période de congestion. Tous les personnels auraient des compétences communes qui faciliteraient la coopération.
- Améliorer la gestion du stress par des formations avec des simulations de scénario. Le développement de plateformes de simulation interactives pour la formation et la planification pourrait être privilégié.
- Par la réorganisation :
- Mettre en place un système de filtrage des patients à l’entrée des urgences. Néanmoins, nous soulignons que la limite de cette approche est de discerner la différence entre état réel et état perçu du patient.
- Favoriser la construction d’hôpitaux de proximité avec des soins basiques en supplément d’hôpitaux de recours disposant de plateaux techniques et de prises en charge.
- Prendre en compte dans le processus décisionnel le risque de départs liés au stress et au burnout. Pour cela optimiser les plannings et les affectations pour éviter aux soignants les heures supplémentaires non panifiés.
- Faciliter les protocoles de transfert d’informations entre le centre d’appel et le service d’urgence par un système d’information intégré.
- Par les incitations contraignantes et non contraignantes :
- Instaurer des incitations contraignantes comme une tarification symbolique à l’admission pour décourager les passages non essentiels.
- Instaurer des incitations non-contraignantes pour faire comprendre au patient l’externalité négative engendrée par la décision de rejoindre une file d’attente qui peut contribuer à la surexploitation des ressources hospitalières. Une première solution serait de sensibiliser le patient par des campagnes d’affichage à l’entrée des urgences. Une seconde de sensibiliser par des campagnes dans les médias. Une troisième de mettre en place un dispositif de réservation en ligne où le patient est sensibilisé sur le temps d’attente additionnel généré par son arrivée.