Cette contribution est la deuxième d’une série d’études menée par Diane de Saint-Affrique sur la position des entreprises vis-à-vis de la loi sur le devoir de vigilance de 2017. La première étude portait sur le périmètre et l’objectif de la Loi de 2017 sur le devoir de vigilance. Les études suivantes porteront sur les actions mises en place par les entreprises pour se conformer à la loi. Mais aussi sur l’impact de la loi sur la gouvernance et le management. L’étude se terminera par une réflexion sur la manière dont les entreprises pourraient travailler main dans la main avec les ONG pour le bien commun.
Introduction
La directive sur le « Devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité », également connue sous le nom de Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CS3D), a été adoptée le 24 avril 2024 par le Parlement européen puis officiellement approuvée par le Conseil européen le 24 mai 2024. Cependant elle a vu sa portée considérablement réduite suite à un nouveau vote le jeudi 13 novembre 2025. Précisons, que cette réduction de la portée de la directive européenne sur le devoir de vigilance intervient avant même sa transposition dans la majorité des pays de l’Union. Les eurodéputés ont en effet approuvé, par 382 voix contre 249, la baisse des exigences du texte, en limitant le nombre d’entreprises concernées et en supprimant certaines de leurs obligations.
En guise de rappel, la directive adoptée en avril 2024 obligeait les entreprises de plus de 1 000 salariés, sous peine de sanctions, à prévenir et à remédier aux violations de droits humains et aux dommages environnementaux tout au long de leurs chaînes de valeur. Cette obligation s’appliquait indépendamment de la zone géographique des sous-traitants ou fournisseurs concernés. Toutefois, le 13 novembre 2025, le Parlement européen a adopté une version révisée du texte en réduisant significativement le nombre d’acteurs concernés. Désormais, les entreprises visées seraient celles de 5 000 employés et plus d’1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel, alors que la version initiale visait les entreprises de 1000 salariés pour un chiffre d’affaires de 450 millions d’euros. Par ailleurs les eurodéputés ont proposé la suppression du régime de responsabilité civile européenne, qui servait à harmoniser les obligations des entreprises et leurs responsabilités devant la justice en cas de manquements, vidant un peu plus le texte de sa substance. Enfin, les entreprises ne sont plus tenues de présenter, pour la première fois un plan de transition climatique compatible avec l’objectif de 1,5°C fixé lors des Accords de Paris. L’objectif affiché par Bruxelles est la simplification et l’allègement des charges administratives des entreprises de l’Union européenne (UE) en réaction à une concurrence internationale de plus en plus intense.
Si la majeure partie des pays européens n’ont jamais légiféré sur le devoir de vigilance et ne sont, du fait des atermoiements de la Commission et du Parlement avec la directive omnibus, soumis à aucune obligation en la matière, la France et l’Allemagne sont, elles, soumises à des lois internes exigeantes et se trouvent de ce fait dans une position défavorable pour faire face à une concurrence internationale acharnée. En effet, dans un environnement économique mondiale qui se fragmente, les règles du jeu ne sont pas les même pour tous.
Ce second volet du rapport sur le devoir de vigilance de 2017, fait suite à la première relative au périmètre et à l’objet de la Loi de 2017 sur le devoir de vigilance. Dans cette deuxième partie les secrétaires généraux, directeurs Compliance ou directeurs généraux des 20 sociétés interrogés ont été interrogés sur le degré de compatibilité de la Loi de 2017 avec la réalité du monde économique qu’ils vivent au quotidien.
La compatibilité de la loi sur le devoir de vigilance de 2017 avec la réalité du monde économique du quotidien
Si l’ensemble des sociétés interrogées estiment que par bien des aspects la loi est vertueuse et saluent les apports conséquents du texte, les mêmes acteurs trouvent aussi qu’elle souffre d’un manque d’adaptation à la diversité des réalités économiques ce qui rend son application extrêmement complexe.
Pour les entreprises la Loi présente des apports de différente nature
Elle impulse une dynamique d’amélioration continue et d’alignement de valeurs
Pour un certain nombre de sociétés comme Total, l’Oréal, Groupama, la SNCF, Danone ou le groupe Avril, la vigilance n’est pas vécue de façon négative comme une simple contrainte légale mais plutôt comme une incitation à structurer et renforcer leur démarche de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE). Ces dernières soulignent que ce mouvement législatif s’inscrit dans une culture de responsabilité déjà présente et permet de mettre en cohérence les valeurs internes préexistantes avec les exigences règlementaires.
Ces entreprises estiment que la loi, dans la mesure où elle est intégrée aux valeurs de responsabilité de la firme, où les référentiels internes sont clairement définis et portés par les organes de gouvernance, largement diffusés par le biais de formations à destination des collaborateurs, a un effet vertueux. Cet effet, permet notamment aux équipes de se sentir concernées par les enjeux de vigilance et favorise la cohésion de tous les collaborateurs autour d’une démarche de progrès.
Comme le souligne la vice-présidente (VP) Legal affairs de la société Clasquin, la Loi devrait être perçue par les parties prenantes comme une incitation à mettre en place « un processus d’amélioration continue » dans chaque secteur d’activité. L’objectif étant de créer un cercle vertueux à travers des actions concrètes, si modestes soient-elles. Seule une approche volontaire et anticipée estime-t-elle peut faciliter l’intégration des exigences légales en évitant une logique purement réactive ou bureaucratique.
Néanmoins, pour l’ancienne directrice Compliance RSE de Groupama, si les valeurs portées par les collaborateurs peuvent utilement être mises au service de la règlementation, l’inverse n’est pas souhaitable. Dans l’hypothèse où la loi Vigilance est vécue comme une contrainte par les équipes, elle deviendra un frein.
De ce fait, la loi est perçue comme un levier pour structurer et renforcer les démarches RSE, en poussant à la cartographie des risques et à la mise en place de plans d’action adaptés aux enjeux de chaque société.
La loi permet une liberté d’approche et de contextualisation
Le directeur éthique et conformité de la SNCF affirme que la souplesse et le caractère général de la loi française sont des atouts qui permettent aux entreprises de traiter les risques réels, en évitant l’écueil d’un travail purement administratif ou de façade. L’absence de décret d’application, souvent dénoncé comme créant une ambiguïté dangereuse est, selon lui, plutôt un avantage qui laisse place à l’interprétation et à l’adaptation nécessaire à chaque secteur d’activité. Cette approche est vertueuse car elle permet une meilleure acuité dans la perception des risques si tant est que le travail de cartographie soit fait avec honnêteté et transparence. Par ailleurs en l’absence de décret, les attentes des différentes parties prenantes, qu’il s’agisse des entreprises concurrentes, des auditeurs extra financiers, des Organisations non gouvernementales (ONG) ou des investisseurs, poussent les sociétés à améliorer leurs plans de vigilance.
En outre, le directeur de la conformité d’Avril précise que le caractère d’obligation de moyens ne nécessite pas de résultat immédiat. Cela accorde ainsi le temps aux entreprises de progressivement mettre en place une méthodologie sérieuse. Cet aspect progressif est perçu comme un avantage majeur. Il permet aux entreprises de construire, étape par étape, des processus robustes de vigilance et d’amélioration continue, sans subir la pression d’une obligation de résultat instantané.
Comme le souligne le directeur de la compliance de Bouygues, les entreprises ne sont pas des organisations amorales mais des collectivités humaines sensibles aux enjeux éthiques. Notamment à celui du travail des enfants et aux conditions de travail en général. Leur but est bien la mise en place d’une démarche d’amélioration continue dans les secteurs sensibles propre à chacune ce qui ne peut se faire que progressivement.
La loi a un effet vertueux sur la chaine de valeur
La valeur des sociétés cotées est désormais évaluée à la fois sur des critères économiques et extra-financiers de responsabilité sociale et environnementale incitant ces dernières à être très vigilantes quant à la qualité de leur chaine de valeur. Les entreprises non visées par la loi qui souhaitent travailler avec des sociétés soumises sont également impactées par ricochet, ce qui, plus largement, devrait engager l’ensemble de la chaine de fournisseurs dans une dynamique de conformité. Pour le secrétaire général de Danone et le directeur de la compliance d’un groupe d’armement, l’adoption de la directive CS3D et l’extension des obligations de vigilance aux entreprises de plus petites tailles devrait renforcer ce mouvement, les grands groupes n’étant plus vu comme seuls prescripteurs.
Par ailleurs, comme le souligne le directeur de la conformité de Véolia, le devoir de vigilance pourrait incarner un atout compétitif pour les entreprises européennes qui sont globalement plus concernées et matures sur ces sujets que leurs homologues mondiaux. La loi pourrait, dès lors, être utilisée comme un outil de concurrence en excluant du marché européen les entreprises non conformes, tout en incitant à la relocalisation d’un certain nombre d’activités afin qu’elles répondent aux exigences du devoir de vigilance.
Un certain nombre d’acteurs majeurs soutiennent donc que le devoir de vigilance peut devenir un levier stratégique pour l’Europe s’il est porté de façon cohérente et non bureaucratique, avec conviction et rigueur.
La loi permet un renforcement de la crédibilité et de la conformité
La loi donne du poids aux démarches de compliance et à la protection des droits humains et de l’environnement, tout en créant des mécanismes de sanction en cas de manquement. Ainsi, la directrice des affaires publiques et du développement durable du groupe Mobivia a mis en place une série d’actions pour répondre aux exigences légales. Des audits sociaux et environnementaux annuels sont menés en collaboration avec des cabinets spécialisés, notamment dans les zones dites « à risque ». Les certification Equovadis couvrent au moins 80% du volume d’achats ; des chartes d’achats et de bonnes conduites sont adoptées pour encadrer les pratiques fournisseurs. Nous constatons un mouvement de fond qui s’est opéré dans la plupart des grands groupes hexagonaux, qui prévoient désormais de nombreux dispositifs pour élever le niveau de vigilance sur la chaine de valeur.
La loi a également un effet incitatif fondé sur la comparaison et la réputation. Comme le soulignent les directrices des droits humains de l’Oréal et la directrice de la compliance d’Avril, la pression liée à l’image publique a encouragé les entreprises à progresser par effet de comparaison et de réputation. Le benchmark entre pairs tout comme la pression des auditeurs, des investisseurs et des organisations non gouvernementales avec lesquelles le dialogue peut être exigeant voire houleux, sont absolument essentiels pour nourrir la démarche de progrès et affiner la cartographie des risques. Il n’en reste pas moins, précisent les entreprises concernées, que même avec ces dispositifs, il est difficile de garantir une traçabilité parfaite sur l’ensemble de la chaîne, surtout avec certains fournisseurs de zones lointaines (Asie, Afrique). Un risque résiduel persiste toujours.
Si la Loi devoir de vigilance est généralement considérée comme vertueuse dans ses intentions et globalement saluée pour son ambition, son effet structurant, l’impulsion dans la mise en place ou l’accélération d’une dynamique de progrès, une montée en exigence collective et un alignement des valeurs, il n’en demeure pas moins comme le soulignent les entreprises qu’elle se heurte à de nombreux écueils qui rendent son application extrêmement complexe.
Limites et défis de la Loi : freins à la compatibilité économique
La loi génère complexité administrative et inflation réglementaire
La mise en œuvre quotidienne de la loi, bien qu’animée par des objectifs éthiques, soulève des défis majeurs pour les entreprises. Selon la direction compliance d’Auchan, le texte législatif entre parfois en conflit avec les réalités opérationnelles, les contraintes économiques et les capacités techniques des fournisseurs. Les obligations légales, parfois déconnectées des activités principales de l’entreprise, entraînent une gestion particulièrement complexe et requièrent la mobilisation de ressources conséquentes.
Les sociétés doivent désormais endosser des responsabilités autrefois attribuées à l’État, soulevant ainsi la question d’une délégation implicite des missions publiques vers le secteur privé. Les directions juridiques des groupes Auchan et Fnac Darty estiment que l’entreprise n’a pas pour vocation première de se substituer au législateur, ni de devenir un organisme de vérification.
De surcroît, plusieurs grands groupes français, tels que Veolia, Bouygues et L’Oréal, alertent sur la complexité administrative croissante liée aux nouvelles législations sur la durabilité. Cette situation les oblige à renforcer leurs équipes juridiques et à mobiliser des ressources spécifiques pour garantir la conformité. Par exemple, Fnac Darty a mis en place une cellule qualité de 15 personnes dédiée au contrôle des vendeurs sur ses marketplaces.
Selon le secrétaire général du groupe Danone, les frais de structure des entreprises européennes sont déjà supérieurs à ceux de leurs concurrents américains, chinois ou russes. Il craint que la loi n’accentue cet écart, détournant ainsi l’attention des priorités économiques vers la conformité réglementaire.
Cette évolution pose la question de l’équilibre à trouver entre exigences réglementaires et compétitivité des entreprises européennes. Le DGA et directeur financier du groupe Bouygues souligne que si la prolifération des normes est justifiée, elle génère néanmoins une charge de reporting quasiment insurmontable pour les PME fournisseurs et sous-traitants. Si la loi s’inscrit dans les objectifs stratégiques des sociétés interrogées, elle pose néanmoins des défis importants en matière de ressources, de compétitivité et de clarté des dispositifs. Malgré sa vertu à long terme, sa complexité et les surcoûts induits risquent de détourner l’attention des priorités économiques et d’impacter la compétitivité.
Par conséquent, un écart significatif subsiste entre les objectifs affichés par la loi et sa mise en œuvre concrète, en particulier du fait des contraintes économiques et des capacités opérationnelles restreintes des petites entités intégrées aux grands groupes.
La Loi est d’application complexe dans les chaines mondiales
Certaines entreprises dépendent de sources d’approvisionnement éloignées en raison de capacités techniques ou de savoir-faire spécifiques, comme le Japon pour les moteurs de bateaux (ex. Beneteau) ou le Bangladesh, l’Inde et le Pakistan pour le textile mais aussi les composants électroniques. Ces ressources n’étant pas toujours disponibles en Europe.
De nombreuses sociétés françaises disposent ainsi de chaînes de valeur mondialisées et, bien avant l’adoption de la loi, avaient déjà instauré des audits réguliers et des visites inopinées dans les pays identifiés comme « à risque », à l’image de la démarche de la direction compliance de Fnac Darty. Cependant, pour une entreprise telle que Nature et Découverte, qui collabore avec plus de 500 fournisseurs en Asie, auditer l’ensemble des acteurs s’avère économiquement irréaliste. De ce fait, la loi sur le devoir de vigilance est donc perçue comme déconnectée de la réalité économique. Puisque dans des chaînes de valeur complexes, remonter à la source des matières premières est souvent périlleux, voire impossible, notamment en raison d’un manque de coopération locale. Le Directeur de la Compliance du groupe Avril souligne que dans certains secteurs, comme celui de l’huile de palme, la traçabilité complète (jusqu’aux niveaux 4, 5 voire 6) est quasiment inatteignable. Les entreprises sont alors contraintes d’accepter un risque résiduel ou de recentrer leurs activités sur des zones plus contrôlables, ce qui engendre des coûts supplémentaires.
Enfin, l’impact de la loi sur les fournisseurs est majeur. Pour se conformer aux exigences légales, les entreprises sont contraintes à une rationalisation forcée de leurs relations commerciales en privilégiant les plus gros fournisseurs au détriment des plus petits. Cette dynamique engendre une forme d’injustice économique car elle aboutit à l’exclusion progressive des fournisseurs de moindre taille incapables de répondre aux exigences de reporting.
La loi génère des risques concurrentiels et de distorsion internationale
Les exigences de la Loi créent un déséquilibre concurrentiel au détriment des entreprises françaises, qui sont soumises à des obligations de vigilance plus strictes que leurs homologues internationaux. Si cette exigence est vertueuse, les moyens d’action des entreprises hexagonales restent limités face à des acteurs mondiaux. Les directions compliance de sociétés telles que Bénéteau, Clasquin, Danone et Avril soulignent la nécessité d’une harmonisation internationale des règles. Cela afin que la responsabilité de la transformation du commerce mondial ne repose pas uniquement sur les sociétés françaises.
Par ailleurs, certains fournisseurs étrangers avec lesquels les sociétés françaises sont en état de dépendance, notamment dans le secteur informatique, imposent leurs propres référentiels et conditions contractuelles. Si les exigences légales deviennent trop contraignantes, ces partenaires pourraient mettre fin à leur collaboration, exposant ainsi les entreprises à des risques économiques majeurs, comme le relèvent Electrodépot, Bénéteau ou Totalenergie. Les entreprises françaises redoutent également une perte de compétitivité face à des concurrents hors UE non soumis aux mêmes obligations, ce qui pourrait inciter certains groupes à délocaliser leur siège social. Cette asymétrie réglementaire engendre une discrimination internationale et une incompréhension chez les fournisseurs étrangers, notamment asiatiques et moyen-orientaux.
Par ailleurs les entreprises se heurtent à la réticence de certains fournisseurs à divulguer le nom de leurs propres prestataires, par crainte de voir leur marge ou leur position stratégique fragilisée. Une transparence excessive pourrait inciter les donneurs d’ordre à les contourner, ce qui irait à l’encontre du principe de secret des affaires et augmenterait leur risque économique.
Enfin dans certains secteurs, comme celui des bateaux de plaisance les moteurs thermiques restent privilégiés pour leur fiabilité tandis que les moteurs électriques sont jugés comme insuffisamment sûrs et puissants. Une évolution culturelle et un effort pédagogique sont nécessaires pour encourager l’adoption de technologies plus durables.
La loi manque de clarté et d’accompagnement pour aider à l’élaboration efficace de la cartographie des risques
L’absence de décret d’application, de guides pratiques et de concertation avec les entreprises complique l’interprétation et la mise en œuvre de la loi, en particulier pour les sociétés dépourvues de services spécialisés en droits humains. C’est ce que soulignent les directions compliance de Bouygues et L’Oréal.
De nombreuses entreprises, dont Véolia et le Groupe Avril, regrettent également que la loi ne distingue pas suffisamment les risques par filière ou par nature, ce qui conduit à des cartographies parfois trop générales ou superficielles. Le niveau de détail attendu pour la cartographie des risques, pourtant central, n’est pas clairement défini, rendant difficile le traitement de situations complexes. Un exemple est celui du flou autour de la position à adopter vis-à-vis de la Russie en période de conflit.
Ainsi, ce manque de précision constitue un point de friction majeur entre les ONG et les entreprises, ces dernières étant souvent critiquées pour des documents jugés incomplets ou trop génériques. Certaines sociétés dénoncent l’approche des ONG, qui privilégient l’action judiciaire à la proposition de solutions alternatives. Si des groupes comme L’Oréal ou SNCF reconnaissent l’importance d’une cartographie efficace, ils soulignent la difficulté de la réaliser sans outils et expertises adaptés. Véolia rappelle que l’objectif est d’obtenir des résultats mesurables. Mais l’absence d’indicateurs clairs limite l’efficacité de la loi puisque sans indicateurs clairs il est difficile de présenter des résultats mesurables. Enfin, sur le plan humain, la directrice compliance de Bénéteau note que cette loi peut générer, dans les secteurs dits « polluants », un sentiment de honte, de démotivation, de stress et une grande difficulté à recruter.
Selon les dirigeants interrogés, la future directive CS3D risque de complexifier la réalisation de cartographies efficaces. Ils soulignent le caractère rigide et administratif du texte, dont les annexes imposent de nombreuses cases à cocher, souvent inadaptées à la réalité économique des entreprises. Ce formalisme pourrait diluer l’analyse des risques réels, en incitant les entreprises à se conformer à des libellés génériques peu pertinents. Par ailleurs, l’hétérogénéité des présentations des risques rendra les comparaisons difficiles. Certaines obligations prévues par la directive pourraient s’avérer intenables pour certaines petites ou moyennes entreprises.
Conclusion
La loi sur le devoir de vigilance, bien qu’en accord avec les objectifs stratégiques affichés par les entreprises concernées, soulève d’importantes difficultés lors de son application concrète. La mobilisation des ressources nécessaires, la préservation de la compétitivité et la clarté des dispositifs réglementaires constituent autant de défis majeurs pour les entreprises. Son application efficace nécessite une approche pragmatique, fondée sur la segmentation par filière et par nature de risques, ainsi qu’une adaptation progressive aux moyens et contraintes propres à chaque secteur économique.
Si la loi encourage une dynamique de progrès, sa mise en œuvre reste freinée par la complexité administrative, le coût, les limites de traçabilité, la distorsion concurrentielle et le manque de clarté réglementaire. Sa réussite dépendra en grande partie de la capacité à adapter et à segmenter les exigences, à accompagner les entreprises et à garantir une équité concurrentielle à l’échelle internationale. Enfin, il s’agit d’impulser une dynamique de responsabilité, même imparfaite, qui pourra devenir à terme un véritable levier de transformation du secteur économique.